Jonathan Strange & Mr. Norrell épisode 1: The Friends of English Magic
Alors que l'Angleterre est en lutte contre Napoléon, des magiciens se réunissent en société pour parler de leur art. De manière purement théorique puisque aucun sortilège efficace n'a pu être lancé depuis plusieurs siècles et que ceux qui prétendent réellement faire de la magie ne sont que des charlatans bon à tirer quelques pièces aux passants naïfs. Jusqu'à ce que le jeune magicien John Segundus découvre l'existence de Mr. Norrell, un homme vivant reclus dans son immense bibliothèque et qui se prétend magicien pratique.
Généralement, pour commenter une série, je me contente d'un bilan général ou par saison. Il faut vraiment qu'une série ait une place particulière dans mon cœur ou que j'ai vraiment envie d'en parler en détail pour faire une exception. Jusque-là, seules
Hornblower,
Doctor Who,
Sherlock et
Game of Thrones ont eu droit à ce traitement de faveur. Pourquoi cette mini-série en sept épisodes, dont le premier a été diffusé hier sur la BBC rejoint-elle le trio d'heureux élus? Parce que comme ne l'exprime pas assez bien
cette critique,
Jonathan Strange & Mr. Norrell de Susanna Clarke est un de mes romans préférés. Ce n'est pas juste que je l'adore. Il fait carrément partie des bouquins où je me dis: "si seulement j'avais pu écrire quelque chose comme ça..." (et j'en entends déjà répondre "tu nous aurais bien barbés". Car oui, pour ceux qui n'en avaient pas encore entendu parler, ce pavé divise pas mal, entre les fans - dont Neil Gaiman - qui le tiennent pour l'un des plus grands romans de fantasy voire tout genre confondu, de ces dix dernières années et ceux qui se sont englués dans ce qu'ils considèrent comme le remède idéal à l'insomnie).
Quand j'ai lu le livre pour la première fois il y a bientôt dix ans, un projet d'adaptation était déjà dans les tuyaux, avec pour scénaristes des noms illustres comme Christopher Hampton et Julian Fellowes. Comment un seul film pourrait-il rendre justice au livre, se demandait-on? La question reste posée car après que New Line se soit cassée la figure, l'adaptation semblait définitivement une Arlésienne. Puis, il en a été à nouveau question, mais pour la BBC et sous la forme d'une mini-série. Ce qui était nettement plus rassurant, car le format se prêtait mieux à la richesse du livre, que la chaîne avait fait ses preuves pour adapter des romans classiques parfois complexes comme Little Dorrit et que la qualité des effets spéciaux pour la petite lucarne a énormément progressé ces dernières années. Cela étant dit, le scénariste Peter Harness et son équipe se colletaient à quelques défis de taille: la longueur n'est pas le seul obstacle du livre. C'est un livre où l'ambiance compte énormément, où une partie du charme (ou de son côté rébarbatif) réside dans les notes de bas de pages qui font croire que la magie a réellement fait partie de l'histoire de l'Angleterre. On se retrouve sur le champs de bataille de Waterloo, on aborde des sujets comme la question des classes sociales, du racisme et de la place de la femme dans la société de l'époque, on crée des navires avec de la pluie et des objets ont la couleur d'une peine de cœur.
Autant dire qu'avant de voir le premier épisode, j'étais dans le même état d'esprit qu'en entrant dans la salle de cinéma avec la projection de
La Communauté de l'Anneau,
Harry Potter à l'École des Sorciers ou avant la diffusion du premier épisode de
Game of Thrones: "oui, le casting correspond dans l'ensemble à ce que j'imaginais et je parie que les quelques acteurs qui me laissent dubitative sauront me convaincre. Oui, on a l'air de s'être donné des moyens à la hauteur des ambitions du projet et oui, les premiers échos sont positifs... mais si jamais ça ne colle pas? Oh, j'arriverais peut-être à supporter un résultat moyen si au moins ils ne loupent pas mon personnage préféré" (pour information, dans le cas présent c'est Childermass et je vais beaucoup gâgâtiser à son sujet).
Je vais essayer de caser une photo de Childermass par épisode. Parce qu'il le vaut bien.
À l'issue du premier épisode, je suis amplement rassurée. Certes, le plus ardu reste à venir. Mais cette introduction montre une grande fidélité à l'histoire tout en bousculant certains éléments pour rendre l'ensemble dynamique. Bien entendu, il a fallu faire des choix et le plus évident est de se concentrer sur l'intrigue et d'évacuer les à-côté. Difficile en effet de restituer les longues digressions sur des personnages "historiques" ayant vécu bien avant l'action qui ne faisaient pas partie du corps du texte. Néanmoins, les noms de certains ouvrages et de leurs auteurs émergeront dans certaines conversations.
Évidemment, la première vision d'une adaptation très attendue ne permet pas un grand recul. On est surtout occupé à se dire que Machin est vraiment tel qu'on l'avait imaginé, à penser que finalement Truc fera l'affaire mais qu'on a encore des doutes sur Bidule et oh, ça c'est une bonne idée mais là ils ont choisi d'amener cet élément comme cela? Pour essayer d'y voir plus clair je vais donc m'en remettre au bon vieux découpage scénario/acteurs/équipe technique.
Comme je l'ai dit plus haut, Harness fait pour l'instant du bon travail pour offrir à la fois un scénario collant à l'intrigue du livre sans la transposer trop servilement, notamment en bousculant la chronologie ou en montrant de façon explicite ce qui était abordé avec plus de distance sous la plume de Clarke. Par exemple, l'épisode débute sur une tentative infructueuse de John Segundus d'accomplir un sortilège simple alors que son échec est seulement sous-entendu au début du roman. J'ai eu un peu peur au début quand une voix-off introduit la Société des Magiciens, mais heureusement c'est l'unique exemple de ce procédé (contrairement à une autre adaptation dont je parlerais dans quelques semaines et qui abuse de cet artifice) et le choix du narrateur, s'il peut paraître incongru au premier abord, est finalement pertinent. Là où l'on prend le plus de liberté, c'est en introduisant certains personnages beaucoup plus tôt dans l'intrigue, Jonathan Strange et Vinculus en particulier. C'est un bon choix, car cela permet de concentrer les différentes introductions plus vite et de bien poser les enjeux et les différences de caractère des deux principaux personnages, ainsi que l'attitude de Norrell face à l'évocation du Roi Corbeau. Ce dernier mystérieux personnage est d'ailleurs souvent évoqué et il est donc clair qu'il s'agit d'un élément important pour le spectateur. Un seul passage m'a vraiment fait tiquer, il concerne la rencontre entre Strange et Vinculus, qui prend place entre le départ du second de Londres et la dernière scène chez sir Walter Pole. On a l'impression qu'à part la rencontre, les différents événements ont lieu dans la même journée, ce qui ne semble pas très cohérent. Mais j'ai pu mal comprendre (je devrais revoir cet épisode pour m'en assurer... Quel sacerdoce!). Quoiqu'il en soit le scénariste a bien franchi l'étape de l'épisode de mise en place introduisant les personnages les plus importants. Il est donc temps de donner un avis sur le traitement desdits personnages.
Lorsqu'on a annoncé Eddie Marsan dans le rôle de Gilbert Norrell, j'étais à la fois ravie car c'est un acteur de talent, et un peu étonnée car j'imaginais le personnage plus vieux. Mais comme le dit l'auteure, Norrell devait déjà avoir l'air vieux à 17 ans. Ce n'est pas le nombre d'années qui compte, mais l'attitude. Marsan ne déçoit pas. Il traduit bien la timidité et le malaise en société de Norrell, ce qui le rend attachant (comment ne pas compatir devant un homme qui se réfugie dans la bibliothèque la plus proche pour fuir une fête bruyante où il ne connait personne?) mais on ne cache pas non plus ses traits de caractères plus déplaisants comme sa façon d'écarter tous rivaux potentiels, son rejet suspect de ce qui touche au Roi Corbeau et ses ambitions.
Bertie Carvel était la plus grande inconnue à l'équation. Je ne l'avais croisé que dans des petits rôles, une scène dans un épisode de
Doctor Who par-ci, une apparition dans
Sherlock par là, et j'étais un peu agacée qu'ils n'aient pas choisi un acteur roux (oui, je suis la première à être exaspérée quand on se plaint qu'un acteur est comme ceci alors que le personnage est comme cela et que donc ça va être raté mais il n'y a pas assez de héros roux, je trouve). Il montre dans ce premier épisode le charme et le côté tête-à-claques de Strange et si le personnage ne se limite pas à ça, il n'y a pas de raison pour qu'il ne soit pas à la hauteur quand il dévoilera des traits plus sombres (il a reçu un Laurence Olivier Award pour le rôle de Miss Trunchbull dans
Matilda, cela laisse supposer une palette assez large).
Les personnages secondaires sont également très bien choisis même si j'ai encore des réserves vis-à-vis de Lascelles, qui me semble manquer de charisme et de prestance, mais il est encore très en retrait. Trois personnages émergent cependant du lot. Childermass est joué par Enzo Cilenti, acteur que j'avais comme Carvel croisé ailleurs sans qu'il me marque durablement. Autant dire que je l'attendais au tournant et si on pourrait à la limite lui reprocher d'être un peu trop bien fait de sa personne pour le rôle (mais je ne me plains pas), je l'ai trouvé absolument parfait. Il a davantage de scènes que dans le livre pour l'instant, et on voit donc plus vite l'emprise qu'il peut avoir sur Norrell, mais cela ne dissipe pas son mystère: qu'elles sont ses intentions? Comment quelqu'un visiblement d'origine modeste en est venu à servir Norrell tout en ayant de l'ascendant sur lui et se permettant une attitude aussi désinvolte face à des gentlemen? Cilenti joue parfaitement le type qui donne l'impression d'en savoir plus que tout le monde et à qui il en faut beaucoup pour être désarçonné.
Paul Kaye, quant à lui, est tout simplement parfait en Vinculus, charlatan doté d'un réel pouvoir. On est dans le cas d'un choix de casting qui semble tellement évident quand on le voit en action qu'il n'y a pas grand chose à ajouter.
Le troisième personnage à émerger du lot est le Gentleman with the thistle-down hair interprété par Marc Warren. Comme avec Lascelles, je réserve mon jugement pour plus tard. Le Gentleman est cruel, sinistre et amoral, mais aussi excentrique et d'humeur changeante. Pour l'instant, on n'a vu que l'aspect sinistre, sans doute pour faire comprendre que Norrell faisait affaire avec une puissance dangereuse mais j'espère que Warren ne se limitera pas à cet angle. Le costume m'a également laissé perplexe, mais il devrait en changer bientôt, donc ce n'est qu'un inconvénient mineur.
Toby Haines est à la réalisation. Il a notamment mis en scène
The Reichenbach Fall, épisode de
Sherlock qui parvenait à reprendre des idées en adéquation avec le style posé par Paul McGuigan sans en abuser comme cela a été le cas dans
The Empty Hearse. Il livre ici un travail soigné, sans idées baroques. En fait, on retrouve bien dans cette adaptation le savoir-faire de la chaîne pour les adaptations de romans se déroulant au XIXe siècle, et les amateurs d'austeneries et de dickenseries ne seront pas dépaysés. Hormis une scène, l'usage de la magie est discret, mais le peu qu'on a vu de l'usage des CGI était des plus correct, sans être révolutionnaire une fois encore.
Jonathan Strange & Mr Norrell fait donc des débuts solides et qui ont de quoi mettre en confiance sur le sérieux de l'entreprise et la compétence des personnes impliquées. Est-ce que cela suffira pour être convaincant jusqu'au bout? On croise les doigts, mais on a vu des entrées en matière plus maladroites.
à 17:19