La mère de Jack Sawyer se meurt d'un cancer et le garçon de douze ans est impuissant à la sauver. L'est-il vraiment? D'après le vieux Speedy Parker, au contraire, le sort de l'actrice, ancienne reine des séries B, dépend de son fils qui doit traverser les États-Unis à la recherche du Talisman, seul capable de guérir sa mère mais également une autre reine, celle des Territoires, un monde parallèle. L'associé du défunt père de Jack, Morgan Sloat, et son double des Territoires entendent bien faire échouer cette quête.

Si l'on m'avait demandé quand j'avais quatorze ans quel était mon Stephen King préféré, j'aurais probablement répondu Ça, le premier lu, le plus riche, à la construction qui à l'époque me semblait si singulière. Ce serait encore le cas aujourd'hui. Pas loin derrière auraient suivi Marche ou Crève et Le Talisman des Territoires comme ce roman écrit avec Peter Straub s'appelait alors en France. Depuis, Simetierre s'infiltrer sur le podium mais mon top 3 reste finalement le même. Non pas que The Talisman, emprunté en boucle à la bibliothèque à l'adolescence, relu en anglais il y a bien vingt ans et abandonné depuis sur une étagère, soit sans défauts et ils me sont apparus plus vivement lors de ma relecture récente mais il tient toujours une place à part dans la bibliographie de King et mon panthéon personnel.

Écrit à quatre mains, Le Talisman me donne la même impression que De Bons Présages de Terry Pratchett et Neil Gaiman: la première fois que je les ai lu, je ne connaissais que King et Pratchett et je ne percevais que leur style particulier. Des années après, ayant découvert des romans de Straub et Gaiman, la relecture de ces deux livres... me laisse la même impression: je discerne seulement l'empreinte de l'un des deux et j'ignore si c'est parce qu'ils ont une patte plus reconnaissable ou si c'est parce que la rédaction n'a pas été également répartie. De plus ici, King, avec cette histoire de quête et de mondes parallèles, semble poser les jalons pour sa Tour sombre. D'ailleurs, Black House, la suite tardive de ce roman, est bien davantage reliée à ce cycle qu'au volume précédent mais je ne relirais pas ce bouquin à moins d'être payée cher. Le Talisman, en tout cas, s'inscrit dans la pure tradition du voyage formateur avec un jeune héros jeté sur les routes avec la lourde de tâche de sauver le monde, ou plutôt les mondes. Il affrontera toute sorte de dangers, du plus commun au plus fantasmagorique, se fera des amis précieux et des ennemis terrifiants, en premier lieu son méchant "oncle" assoiffé de pouvoir. L'attrait du roman vient de son mélange d'univers: on passe dans des Territoires féériques pour sauter aux États-Unis de Reagan et malgré leurs caractères tranchés les deux univers se mêlent pour devenir tout aussi étranges et inquiétants l'un que l'autre. Il y a quelques morceaux de bravoure comme le passage dans l'orphelinat de Sunlight Gardener le prêcheur fanatique ou la traversée des Terres dévastées. King et Straub mélangent savamment une épopée de fantasy aux racines très européennes à une avancée vers l'Ouest typiquement américaine. Les ambiances sont variées mais j'ai un faible pour le début et la fin situées dans des stations balnéaires hors-saisons et à l'abandon, j'ignore pourquoi j'y suis particulièrement sensible mais ça fonctionne à chaque fois.

Les figures sont archétypales, avec un jeune héros incroyablement dégourdi, des méchants très méchants (et moches avec ça) au point d'en devenir hilarants (chaque fois qu'on pense avoir pris la mesure des Morgan, les auteurs en rajoutent une petite couche. On ne comprend d'ailleurs pas comment ils peuvent nuire si longtemps, surtout Morgan d'Orris marqué pour trahison), un vieux mentor qui n'en dit pas trop sinon c'est pas drôle... On est moins bien loti niveau compagnon: Farren est charismatique mais peu présent, Wolf à la limite du Jar-Jar de service avant de devenir très touchant et Richard Sloat, le pauvre Richard... Difficile de lui jeter la pierre vu ce qu'il se prend mentalement et physiquement mais il reste cantonné à être un boulet sans que l'on comprenne pourquoi Jack veut absolument qu'il l'accompagne dans sa mission, sa présence étant finalement symbolique dans tous les sens du terme. Pourtant sa position ne manque pas d'intérêt. La version des doubles que propose le roman, figures classiques des histoires de mondes parallèles, est originale puisque l'on n'a pas les sosies habituels et que le voyage d'un monde à l'autre se déroule différemment que pour les personnages uniques. Néanmoins le fonctionnement est par moment un peu confus. Écrit dans les années 80, le roman a aussi un peu vieilli sur certains points, notamment avec un amalgame entre gay et pédophile.

Malgré ces réserves, The Talisman possède un véritable charme parfois extrêmement inquiétant (Straub et King ne renient pas leur goût pour l'épouvante) et réussit son but: dépeindre un véritable voyage épique et en donner les sensations, celles de rencontrer des obstacles insurmontables, de toucher au but, et une fois la quête accomplie, le sentiment doux-amer du retour dans des lieus familiers mais changés à jamais par l'expérience.