Truro Daine, criminel condamné à perpétuité, est physiquement en prison mais il s'est virtuellement échappé dans un monde qu'il a créé en s'inspirant des films noirs de l'âge d'or hollywoodien. Un monde où il règne comme un dieu sur la Ville dont il est le maire, une ville en noir et blanc où il est toujours 2h30 du matin et où il pleut toujours. Cela ne présenterait pas un grand problème si cela ne servait pas de base au projet plus ambitieux de parasiter l'intelligence artificielle qui contrôle tous les aspects de la société. Tom Tunney et Susan Bishopric, deux "Rêveurs", créateurs de mondes virtuels, sont introduits dans la Ville pour venir à bout de Daine.

The Night Mayor, publié en France sous le titre Hollywood Blues, est le premier roman de Kim Newman, mais on y trouve déjà son goût pour utiliser des figures plus ou moins connues de la culture populaire, comme dans sa série Anno Dracula. Ici, il ne s'agit pas de personnages issues de romans fantastiques et d'aventures pour la plupart victorien et on ne part pas d'une œuvre précise pour imaginer comment l'histoire aurait évolué si à un moment précis l'intrigue avait bifurqué dans une autre direction. On est dans le futur, et si le terrain de jeu est l'univers des films noirs, ceux-ci ont toujours été fictifs, et sous l'impulsion de Truro Daine, constituent un gigantesque crossover virtuel.

Les protagonistes évoluent donc dans la Ville, croisant et souvent affrontant des visages emblématiques du genre. On ne cite pas de personnages en particulier mais les acteurs qui les ont interprétés, accolés parfois à un rôle précis (Lee Marvin et sa cafetière de café bouillant sortis tout droit de Règlement de Compte), d'autres à un archétype auquel ils sont souvent associés (Elisha Cook Jr. en petit bonhomme malchanceux). C'est amusant mais c'est peut-être aussi une des limites du concept: si l'on n'est pas déjà familier avec ces acteurs et ces actrices, on ne mettra pas un visage dessus et on passera à côté des références. Heureusement, l'histoire est rondement menée avec pas mal de rebondissements, Daine n'étant pas aussi facile à trouver que sa fonction de maire le laisserait penser. Tunney et Bishopric mettent un moment avant de se rencontrer mais sont assez complémentaires: le premier crée des "rêves" de qualité très médiocre (celui qu'on nous décrit est gratiné et a la réputation d'être le meilleur) mais connait ses classiques sur le bout des doigts, la seconde y est plutôt hermétique et a un regard plus critique sur les clichés qu'il comporte (notamment les possibilités offertes aux personnages féminins) mais est beaucoup plus douée pour plier le monde virtuel à sa convenance.

Le tout est donc agréable bien que finalement très léger avec une fin qui peut paraître facile. Le roman est suivi de quatre nouvelles situées dans le même univers qui le développent sans être franchement mémorables.