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Bienvenue sur ce blog consacré à un peu tout et n'importe quoi, mais où il sera principalement question de: Harry Potter et la fantasy en général, de romans d'aventures maritimes, de littérature, de séries télés (majoritairement des productions britanniques, mais pas que) et de cinéma!


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La Chair et le Sang
Au début du XVIe siècle, le seigneur Arnolfini promet à la bande de mercenaires qu'il a engagée pour reprendre son fief un jour de pillage s'ils remplissent leur mission. Il revient cependant sur sa parole une fois la victoire acquise. L'un des membres de la bande, Martin, accompagné de quelques compagnons, se venge en attaquant le convoi où se trouve Agnès, fiancée à Steven, le fils d'Arnolfini.

Bizarrement, et ce jusque sur la jaquette du DVD ressorti récemment, La Chair et le Sang de Paul Verhoeven est souvent présenté comme un film sur le Moyen Âge, une représentation sans concessions de l'époque médiévale. Or, l'action se déroule à la Renaissance, comme de discrets indices le laissent deviner ici et là: les costumes des personnages, la mention de Leonard de Vinci dont Steven est l'émule, ou encore, au hasard, la date, 1501, qui s'affiche en gros à l'écran dans les premières secondes du long-métrage. Il faut croire que les images reçues ont la vie dure et que dans l'esprit collectif, la barbarie appartient au Moyen Âge et la Renaissance, malgré ses guerres, ses massacres, ses assassinats, est avant tout une période de floraison artistique et scientifique. Si Verhoeven évacue tout contexte politique connu puisque la seule religion représentée est catholique et encore, par un cardinal mercenaire illuminé (Ronald Lacey, le tortionnaire nazi des Aventuriers de l'Arche Perdue), et qu'on évolue dans une Europe de l'Ouest floue où les personnages ont des noms qui anglais, qui italiens, qui flamands, il a néanmoins à cœur de restituer une ambiance, un état d'esprit sans chercher à mettre à l'aise le spectateur.

Aucun personnage n'est épargné même si certains sont plus fascinants que d'autres ou parviendront ponctuellement à susciter la sympathie: Martin a le charisme de Rutger Hauer et son envie d'humilier Arnolfini est compréhensible mais c'est également un tueur, un pillard et un violeur qui se laisse guider par ses pulsions. Arnolfini est prêt à tout pour arriver à ses fins sans la moindre reconnaissance pour ses serviteurs, Hawkwood trahit ses hommes en échange d'une retraite à la campagne et Steven, qui représente le progrès par ses connaissances en science acquises à l'université, ne manque ni de courage ni d'astuce et dans un film ordinaire serait le héros que l'on soutiendrait, est bien trop benêt pour qu'on ne le trouve pas agaçant et ridicule, ce qui n'est pas un accident. Quant à Agnès, incarnée par Jennifer Jason Leigh, on la découvre d'emblée bien plus délurée qu'une jeune fille élevée par des nonnes devrait l'être et toute sa conduite par la suite est teintée d’ambiguïté (sens de la survie qui la pousse à s'adapter lors de sa captivité, véritable envie de mener une vie plus libre jusqu'à ce que la bande soit menacée? Attirance pour Martin mais sécurité avec Steven?).

Les deux heures de métrage ne laissent aucun répit, de la scène d'ouverture montrant le sac d'une ville à l'attaque de la forteresse finale. Pillages, attaques sur les grands chemins, épidémie de peste, une scène de viol particulièrement éprouvante... Même la scène "romantique" entre les jeunes premiers Steven et Agnès prend place en présence de pendus et l'on y disserte sur les vertus et les origines de la mandragore. La position des personnages évolue sans arrêt: Agnès passe de jeune fiancée impérieuse à prisonnière malmenée à numéro 2 de la bande, Steven est au départ le fils du patron que tout le monde aime bien mais que personne ne respecte à stratège redoutable menant les opérations, l'autorité de Martin est régulièrement contestée puis récupérée... Le film est ainsi toujours en mouvement, la position des personnages précaires et l'on ne sait si l'on doit se fier à une science qui guérit les maladies mais crée des armes sans cesse plus destructrices ou à une religion interprétée en fonction des besoins: les mercenaires, malgré leurs exactions et leur cynisme, s'en remettent souvent à leur cardinal de pacotille et à une statue de saint Martin, le cartésien Steven finit par accorder une certaine légitimité à la mandragore tandis qu'Agnès, qui lui en vantait les mérites, n'est pas dupe.

Le film est violent, mais ce n'est pas tant les coups sanglants qui choquent que le comportement des personnages et l'absence totale de morale de la conclusion: on a assisté à une aventure pleine d'excès et de fureur, on ne tire pas de satisfaction particulière du dénouement et l'on devine que le répit pour les survivants ne sera que de courte durée. Paul Verhoeven et son directeur de la photographie Jan de Bont alternent les ambiances brumeuses et nocturnes à des scènes plus ensoleillées mais qui ne mettent pas moins mal à l'aise comme toute la séquence d'introduction puis du rapt d'Agnès. Un mot sur la partition de Basil Poledouris qui offre une musique toute aussi épique que celle de Conan le Barbare.

Flamboyant, paillard et profondément inconfortable, La Chair et le Sang n'a rien perdu de sa force près de quarante ans après sa sortie, et on peut saluer sa ressortie dans une édition particulièrement soignée chez Carlotta, une occasion en or de le (re)découvrir.
potion préparée par Zakath Nath, le Dimanche 5 Juin 2022, 18:54bouillonnant dans le chaudron "Films".