Au début des années 60, dans le sud du Nigeria, Ugwu entre au service d'Odenigbo, un universitaire. Ce dernier vit avec Olanna, issue d'une riche famille, alors que la sœur jumelle de la jeune femme, Kainene, entame une liaison avec Richard, un journaliste britannique fasciné par le pays. Quelques années plus tard, la région où ils vivent revendique son indépendance et devient le Biafra. S'ensuit une guerre dont Ugwu et son entourage ne sortiront pas indemnes.

Quand on a adoré un roman écrit par quelqu'un qu'on n'avait jamais lu avant, il semble bien naturel d'aller voir ce que l'auteur a pu écrire d'autre, histoire de renouveler l'émerveillement procuré par ce premier contact. Ou pas. Après avoir été enthousiasmée par Fingersmith et The Little Stranger de Sarah Waters, les deux autres romans que j'avais lus d'elle m'avaient laissée sur ma fin. Le Mystère du Lac de Robert McCammon m'avait profondément marquée adolescente mais j'avais tourné autour du pot avant de me lancer dans un de ses livres pourtant plus célèbre, pour en ressortir bien déçue. Bref, il y a quelques mois Americanah s'était révélé une de mes meilleures lectures de 2020 et je ne comptais pas en rester là avec Chimamanda Ngozi Adichie mais tout de même, il y avait la crainte de ne pas être autant séduite par une autre de ses œuvres. Heureusement mes craintes n'étaient cette fois-ci pas fondées.

L'Autre Moitié du Soleil traite de la guerre du Biafra qui s'est déroulée entre 1967 et 1970, un conflit finalement assez peu évoqué en France. Le roman se déploie sur deux époques, la première et la troisième parties au début des années 60, avant la sécession, la deuxième et quatrième durant les combats. Cette structure est à la fois un atout et un inconvénient: un atout parce que cela permet de ne pas consacrer toute une moitié de livre à "l'avant" au risque d'ennuyer le lecteur, ce qui n'est pas le cas en intercalant un troisième quart sous forme de flash-back. Un inconvénient parce qu'on a un semblant de mystère concernant la rupture entre les deux sœurs assez artificiel et il n'est pas certain que cette construction non-linéaire apporte tant que cela au récit. Cependant, cela reste un écueil secondaire par rapport à la qualité générale du livre.

Du fait de son sujet, on se doute que le roman ne sera pas une partie de plaisir et il y a effectivement des scènes dures, puisque l'autrice évoque les massacres, les viols, la famine... Sans complaisance aucune toutefois, sous une plume moins fine cela aurait pu virer à la catastrophe. Une des grandes forces du roman est de commencer doucement, nous familiarisant avec des personnages imparfaits mais dont on ne peut que souhaiter le moins de souffrance possible en sachant que c'est illusoire: Olenna et Kainene, les jumelles que tout semble opposer, Odenigbo, l'intellectuel "révolutionnaire" mais finalement faible, Richard l'expatrié qui veut absolument s'immerger dans la culture locale et Ugwu, qui fait le lien entre tous: entre son village d'origine et les milieux universitaires, entre l'arrière du pays où l'on ne connait pas la situation exacte et où l'on s'accroche aussi longtemps que possible à la foi en une victoire et les premières lignes du front...

Chimamanda Ngozi Adichie sait également amener les informations nécessaires sur le contexte sans être pesante, de manière naturelle, rendant le roman accessible à quelqu'un qui ne connait rien de cette période de l'Histoire. Bien sûr, cela nécessite aussi de se renseigner pour en savoir plus et combler quelques non-dits (qui les personnages appellent "son Excellence" par exemple car cela se passe d'explication pour eux).

L'Autre Moitié du Soleil est un roman âpre, poignant et que l'on ne peut pas lâcher jusqu'à une dernière page qui ne laisse pas le lecteur insensible.