Frank McLoud arrive à l'hôtel Largo, en Floride, pour rendre visite au père d'un camarade tombé au combat. La maigre clientèle est composée d'une bande de gangsters qui prend les tenanciers et McLoud en otages alors qu'une violente tempête se déchaine.

Pour le Noirvember Challenge de cette année, j'ai décidé d'en rester à mon programme désormais habituel: dix films noirs que je n'ai encore jamais vu (il en reste suffisamment pour ne pas avoir trop de mal à en trouver). Il y aura un peu de lecture puisque Folio Policier ressort également Quand la Ville dort de William R. Burnett, et l'adaptation de John Huston est sur la liste du mois, voilà qui tombe bien. C'est cependant un autre film de John Huston qui va ouvrir le bal, Key Largo, que lui et Richard Brooks ont adapté d'une pièce de théâtre de Maxwell Anderson. L'origine théâtrale de l'intrigue explique peut-être le huis-clos où se retrouvent les personnages principaux pendant la très grande partie de l'intrigue (seule l'arrivée de Frank et le dernier quart d'heure en mer nous font sortir de l'hôtel) avec quelques entrées et sorties occasionnelles, un flic par-ci, une bande de gangsters par-là, des Séminoles...

Avec une simplicité apparente, on nous présente les différents personnages et l'on établit vite leurs relations, les éléments secondaires comme les frères Osceola auront leur rôle à jouer plus tard même si leur utilité n'est pas immédiatement apparente, elle est indéniable (présence de policiers dans le coin pour apporter de la tension, extrême duplicité de Johnny Rocco, bienveillance de Temple, le gérant de l'hôtel, peut-être une petite pique sur la tendance des flics à tirer d'abord de poser les questions ensuite?)

John Huston retrouve son vieil ami Humphrey Bogart mais le film reste surtout dans les mémoires pour être la dernière réunion à l'écran de Bogie avec Lauren Bacall. Si sa beauté est aussi magnétique que dans Le Port de l'Angoisse, elle campe finalement un personnage assez limitée de jeune veuve qui après avoir douté du courage du héros va revenir sur son jugement. Claire Trevor est mieux servie par un rôle de maîtresse de gangster, ancienne chanteuse déchue et alcoolique qui entrevoit enfin une occasion de s'en sortir. Les destins de ce genre de personnages secondaires sont rarement optimistes aussi le sien est une bonne surprise et Trevor y a en plus gagné un Oscar. Lionel Barrymore hérite du rôle d'un brave directeur d'hôtel partagé entre vouloir se débarrasser de ses "invités" encombrants et terrifié des conséquences pour son entourage, et dont les bonnes intentions ne seront pas toutes payées comme elles le méritent tandis qu'on a le droit à une galerie de seconds rôles solides pour jouer les porte-flingues de Rocco, dont on ne connait pas toujours les noms mais dont les visages sont familiers (Harry Lewis en jeune excité de la gâchette, Dan Seymour, ou encore Marc Lawrence).

Le film ne marque pas seulement les retrouvailles à l'écran de Bogart et Bacall mais de Bogart et Edward G. Robinson. Ce dernier retrouve un rôle de gangster comme celui qui avait fait sa gloire dans Le Petit César, cette fois-ci vaguement inspiré de Lucky Luciano qui comme Rocco venait de se faire exiler des États-Unis et se montre détestable juste ce qu'il faut. Autrefois, Bogart jouait plutôt les faire-valoir pour Robinson qui l'aura abattu un certain nombre de fois dans sa carrière. Entre-temps Bogart est devenu une vedette et a donc droit à sa petite revanche, tout en jouant un personnage d'abord passif et préférant jouer la carte de la prudence détachée mais qui va peu à peu se révéler, l'acteur est en terrain connu et fait du Bogie en toute décontraction.

Key Largo manque peut-être de dialogues piquants comme Le Grand Sommeil ou d'un élément vraiment marquant ou novateur mais Huston maintient la tension jusqu'au bout, s'appuyant sur une distribution qui sait ce qu'elle a à faire. Le moyen idéal de se mettre en jambe pour le mois, en somme.