Premier adjoint du commissaire principal de la ville de New York, Isaac Sidel erre dans les rues du Bronx et se met en tête de protéger une jeune prostituée, liée à un gangster que le "superflic" est censé connaître mais qui ne lui évoque rien. Malgré lui il va bousculer un réseau qui bénéficie de complicités dans les plus hautes sphères de la police.

Les quatre premiers tomes des romans mettant en scène Isaac Sidel sont sortis à peu de temps d'intervalle et forment par convention un quatuor au sein d'un cycle plus large écrit de manière aléatoire (Charyn ne reviendra à son personnage que dans les années 90). Sans dire que ce livre-ci marque une fin, il y a quand même l'impression qu'on revient sur des événements passés pour conduire le premier adjoint vers une autre étape de sa vie. Pour la première fois en tout cas depuis le début, il semble être le personnage principal, ce qui ne veut pas dire qu'il est plus facile à cerner et perd de son étrangeté. Étrangeté qui ne tient encore une fois pas qu'à lui mais qui imprègne toutes les pages.

Toujours ruminant la mort de Manfred, Isaac se laisse aller en apparence en jouant les clochards dans le Bronx, ne faisant des élégances que pour aider la campagne des primaires du maire Sam Dunne à sa réélection. Maire gâteux qui fugue la nuit ou qui cache bien son jeu. Pendant ce temps, le supérieur direct d'Isaac reçoit des enveloppes au nom de personnages de James Joyce. Notre brave adjoint s'entiche d'une prostituée scarifiée qui ne veut pas se confier à lui tandis que des bourgeoises succombent à son charme incertain et qu'une expédition en Irlande permet de découvrir le cerveau d'un réseau de proxénétisme qui pêche le saumon. Le plus bizarre est que tout cela fait sens, même plus tôt dans l'esprit du lecteur que dans celui d'Isaac. Le roman a un tour un peu plus politique puisque le protagoniste a des liens avec le maire et est plus haut dans la hiérarchie que ses manières ne le laissent penser quand on ne connait pas trop les grades et le fonctionnement de la police américaine. D'abord sorti en France sous le titre Le Ver et le Solitaire (Isaac a toujours son taenia dans les tripes), il est désormais trouvable sous celui d'Isaac le Mystérieux, plus fidèle au Secret Isaac d'origine mais aussi au contenu: le plus grand mystère repose dans la façon dont le flic gère ses enquêtes, comment il peut avoir si bonne réputation avec la presse et gérer sa vie et son travail de manière aussi anarchique... Il agit finalement plus comme un élément perturbateur que comme un fin limier qui enquête méthodiquement, donnant des coups de pieds dans une fourmilière presque au hasard pour la faire s'écrouler.

Jerome Charyn poursuit donc son exploration d'un New-York des bas-fonds dans un récit qui même le sordide et la truculence tout en faisant passer son héros si particulier dans une sphère supérieure mais peuplée de personnages tout aussi barrés.