Établi à Cuba depuis quelques années, Nucky voit arriver la fin de la Prohibition et envisage de continuer ses affaires dans la légalité quand une tentative de meurtre le ramène à Atlantic City. Il soupçonne les ambitieux Luciano et Lansky d'être en cheville pour renverser la vieille garde des gangsters tandis qu'à Chicago, Eli est désormais au service d'un Al Capone au sommet de sa gloire.
L'ennui avec les séries ambitieuses qui exigent une reconstitution soignée et un casting très étendu, c'est qu'elles coûtent cher. Le risque est que même une chaîne qui se targue de diffuser des séries de grand prestige et avec de gros moyens est soumise à des impératifs économiques et donc, quand le public n'est pas suffisamment au rendez-vous ou qu'un investisseur se retire en cours de route, le spectre de l'annulation pointe son groin. Au moins Terence Winter et son équipe n'ont-ils pas eu à subir le couperet de l'arrêt pur et simple sans avoir pu fignoler une vraie fin. On sent cependant fortement que ces huit ultimes épisodes sont un arrangement mais qu'il y avait bien plus de prévu en magasin. On a donc droit à une ellipse et une dernière saison située sept ans après la précédente, en 1931; choix judicieux puisqu'on aura couvert la période de la Prohibition qui lançait la série, que c'est l'époque où Al Capone fut condamné pour une petite histoire d'impôts non-payés plutôt que pour ses meurtres et que Luciano et Lansky lancèrent leur Commission et changèrent le visage du crime organisé. Néanmoins, que de sacrifices, ne serait-ce que pour la période 1928/1929 qui aurait mérité une saison à elle toute seule: la Crise, l'assassinat de Rothstein (pour un personnage récurrent et si jouissif, une mention de sa mort en passant et une veuve acrimonieuse constituent un adieu bien peu à la hauteur), l'attaque contre Luciano qui le laisse défiguré, le sommet d'Atlantic City... et cela rien que pour les événements réels. On sent que Winter prévoyait une sous-intrigue importante entre Hoover et Narcisse qui passe à la trappe, tout comme l'association si prometteuse en fin de saison 4 entre Margaret et Rothstein qui n'atteindra jamais son plein potentiel.
On pourra toujours se lamenter sur ce que la série n'aura pas pu montrer. On aurait tort de balayer cette dernière saison, malgré ces regrets, comme un épilogue au rabais. C'est un adieu mélancolique comme le sont les fins d’œuvres qu'on a aimé et que l'on doit se résoudre à quitter ainsi que des personnages pour qui ont a ressenti quelque chose de fort et que l'on aura vu évoluer ou mourir (et on meurt beaucoup cette saison). En plus de l'intrigue en 1931, on découvre via des flashback Nucky enfant puis jeune homme dans des scènes qui retracent des événements jusque-là évoqués: les services rendus au Commodore et le sacrifice de Gillian. Loin d'être du remplissage, ces retours en arrière explorent la personnalité du personnage principal et illustrent comment et quand Nucky a vraiment basculé, rendant son destin logique et inévitable. Un mot d'ailleurs sur Marc Pickering qui joue impeccablement un jeune Nucky/Buscemi, reprenant sa diction et ses maniérismes de manière souvent bluffante: voici un acteur que j'avais vu quand il était gamin et moi pas bien plus vieille dans
Sleepy Hollow, je suis heureuse de voir qu'il s'est bien débrouillé depuis.
Le saut dans le temps exige quelques réajustements, notamment avec un Chalky White qui n'est plus là où on l'avait laissé. Il en a bavé mais aura le temps à sa manière de mettre ses affaires en ordre avant de tirer sa révérence. À Chicago, Capone est devenu le gangster que l'on connait au moins par sa légende, une véritable star qui adore son statut mais devient de plus en plus instable. Il n'y a guère que sa relation avec son fils qui permet de maintenir de la sympathie pour lui malgré ses actes. La visite de Paul Muni et George Raft sur le point de tourner
Scarface a beau être fictive, elle montre bien l'aura atteinte par Capone à l'époque et comme Hecht, Hawks et Raft y sont chacun allés de leur histoire sur l'ingérence du Balafré dans le film, pas étonnant que l'on brode là-dessus. Avec Nelson et Eli, on est toujours sur le fil entre la tragédie et la comédie et leurs derniers épisodes ne font pas exception. À New-York après des déconvenues et des tentatives prématurées d'indépendance, Meyer et Charlie donnent enfin leur pleine mesure (j'avais quelques réserves vis-à-vis de Vincent Piazza en saison 1, elles se sont dissipées depuis et Anatol Yusef, plus discrètement, a su aussi s'imposer). On peut trouver dommage que la sortie de piste de Narcisse se fasse entre la poire et le fromage comme une formalité bien que je ne regrette pas le sort du personnage lui-même.
Après avoir détesté Gillian durant les saisons 2 et 3, je dois dire qu'elle a fini par m'inspirer surtout de la pitié et sa destinée est particulièrement sombre (d'autant que le Dr. Cotton n'est pas une invention d'un scénariste sadique). Je n'ai je crois jamais parlé de Mickey Doyle (Paul Sparks), pourtant présent depuis le début, une longévité incroyable compte-tenu de l'incompétence du personnage, de ses choix successifs d'allégeance et de l'estime que les autres lui portent, et il a droit à une fin appropriée. Tout comme Margaret, à sa manière, moins présente depuis deux saisons mais qui assume enfin d'être l'épouse d'un gangster et les avantages qu'elle et ses enfants peuvent en tirer après avoir navigué entre pragmatisme et états d'âmes. Finalement, seul le personnage de Willie Thompson a continué à me pomper un peu, servant encore une fois de moyen de pression sur sa famille. Ce n'est d'ailleurs pas contre l'acteur qui n'est pas plus mauvais qu'un autre mais j'ai un peu en travers de le voir crédité au générique d'ouverture alors que Yusef ou Greg Antonacci (Johnny Torrio) ont toujours un statut d'invités alors qu'ils sont présents et bien présents depuis la première saison. Le charme aura en tout cas fonctionné jusqu'au bout, que ce soit dans les scènes de tension entre gangsters ou face aux représentants de l'ordre ou dans des passages plus à part, telle, dans le dernier épisode, cette scène où Nucky, errant sur la Promenade, se voit offrir "une vision du futur".
Il y a quelques années, j'étais passée à côté de la diffusion, peu motivée par une histoire de mafieux et par quelques premiers échos qui évoquaient une série luxueuse mais ennuyeuse et glacée. J'ignore si je l'aurais apprécié à sa juste valeur alors ou s'il a été bénéfique d'attendre d'être dans le bon état d'esprit mais
Boardwalk Empire se place d'emblée dans mes séries préférées. Certes lente à se mettre en place, souffrant d'un trop-plein de personnages et de choix radicaux quand il s'est avéré impossible de montrer tout ce qui aurait mérité de l'être mais peuplée de personnages passionnants et magistralement incarnés par des acteurs servant des dialogues aux petits oignons, avec un soucis dans la reconstitution d'une époque qui ne tombe pas dans la carte postale figée.