Impressionné par sa première sortie au cinéma où ses parents l'ont emmené voir
Sous le plus grand chapiteau du monde, le jeune Sam Fabelman commence par reconstituer à sa manière la scène qui l'a le plus marqué avant de réaliser ses propres films avec les moyens du bord. La passion de Sam pour le cinéma ne fait que croitre avec le temps et c'est à travers elle qu'il va prendre conscience de certains secrets de famille.
Si Steven Spielberg n'est pas le premier réalisateur dont j'ai connu le nom c'est peut-être parce que c'est à Alfred Hitchcock que revient cet honneur. Je ne m'en souviens plus car j'étais très jeune mais que ce soit l'un ou l'autre c'est vers cette période, quand j'étais encore à l'école primaire, que j'ai compris que les films ne se faisaient pas tout seuls et que l'identité de la personne derrière la caméra avait une influence sur le résultat final et donc sur les chances que le film me plaisent ou non. Je dois à Steven Spielberg ma première frousse au cinéma avec ce vilain de dilophosaure et la satisfaction de la surmonter en revoyant
Jurassic Park lors de son premier passage en clair.
ET a tourné dans le magnétoscope pendant mon enfance tandis que les
Indiana Jones en ont fait autant durant mon adolescence. J'aurais probablement dit alors qu'il était mon réalisateur préféré et pourtant des pans entiers de sa filmographie attendent encore que je les regarde et ces dernières années, je suis passée bien à côté de ses dernières œuvres, soit par manque de temps sur le moment et des séances de rattrapages sans cesse repoussées, soit par manque d'intérêt pour le sujet. Le dernier Spielberg que j'ai vu au cinéma était
Cheval de Guerre et c'était il a déjà plus de dix ans, le dernier Spielberg que j'ai enfin vu des années après sa sortie était
Minority Report... Ce n'est probablement pas comme cela qu'on traite un réalisateur préféré. La bande-annonce de
The Fabelmans avec ses répliques du style "fais ce que te dicte ton cœur" et la promesse d'une musique dégoulinante de John Williams pour aller avec (John, je t'aime mais il y a des fois, hein, avoue...) ne m'inspiraient pas, sauf qu'il était annoncé comme un film semi-autobiographique, ce qui le rendait tout de suite plus intéressant qu'un énième récit sur l'importance de suivre ses rêves et l'accueil extrêmement chaleureux était là pour me mettre en confiance.
On suit donc Sam Fabelman, double de Spielberg, depuis sa découverte du cinéma à l'âge de six ans jusqu'à son arrivée dans les coulisses de CBS. Entretemps, le jeune garçon va découvrir ce pour quoi il est fait, ce qui d'emblée est plus que le hobby qu'y voit son père, Burt, brillant scientifique, réaliser ses premiers films de plus en plus ambitieux malgré des moyens limités, tout en découvrant peu à peu la vérité derrière le mariage de ses parents et l'omniprésence dans le foyer de "l'oncle" Bennie, officiellement collègue et meilleur ami du père mais particulièrement complice avec Mitzi, la mère. Suivant son père au gré de ses promotions du New Jersey à la Californie en passant par l'Arizona, Sam évolue dans un monde de plus en plus complexe et le voir derrière sa caméra lui permet d'y mettre en peu d'ordre. Bien que
The Fabelmans montre bien l'émotion durable que peu procurer un film, surtout découvert très jeune, il ne s'agit pas benoitement d'un hommage à l'art qui a fait la gloire du réalisateur, ni d'un trip nostalgique. On sait même sans connaître les détails que Spielberg a été marqué par le divorce de ses parents et que cela transparait dans certains de ses films, en particulier
ET ou
Attrape-moi si tu peux. Il s'agit peut-être donc là de crever l'abcès en attaquant le sujet plus frontalement et pourtant, les noms ont été changés, l'autobiographie est romancée et si quelques interviews et recherches permettent de discerner en partie ce qui est réel de ce qui est fantasmé, il restera toujours une zone de flou. Ainsi, la savoureuse dernière scène correspond fidèlement à quelque chose que Spielberg racontait des années avant l'écriture du film mais pour autant, n'embellissait-il pas déjà pour rendre l'anecdote intéressante? À ce stade, lui seul le sait. De la même manière que Sam, lorsque ses parents annoncent leur séparation, se voit en train de les filmer le faire, Spielberg continue de mettre une distance, une frontière dans son récit ouvertement personnel.
Vérité ou légende que Spielberg veut imprimer dans la rétine des spectateurs,
The Fabelmans n'en demeure pas moins fascinant et bien loin du mélo larmoyant que laissait craindre la bande-annonce. La famille de Sam est pittoresque, avec le père dans son monde de science, sa mère brillante pianiste et excentrique ou encore ce grand-oncle ancien circassien qui déboule annoncé par un message d'outre-tombe. Si l'on sent l'amour d'un fils pour ses parents ici campés de manière bouleversante par Paul Dano et Michelle Williams, cela n'éclipse pas moins les zones d'ombres, les incompatibilités qui ne se surmontent pas à coup de bons sentiments. Malgré les 2h30 qui finissent par se faire un peu sentir dans la dernière partie sans qu'on puisse pour autant discerner ce qui aurait pu être coupé, le film alterne régulièrement entre moments amusants ou qui font chauds au cœur (le tournage et la réception du western de Sam) et passages plus graves et plus ambigus comme l'explication entre Sam et la brute qui l'a harcelé et que sa victime a magnifié dans son film de fin de promo. Scène qui emprunte autant à la réalité telle que Spielberg la raconte (il a apparemment vraiment fait tenir ce rôle à un garçon qui le brutalisait) qu'à l'invention (ledit garçon n'est jamais venu le voir pour lui en parler après).
Outre Michelle Williams et Paul Dano, le casting est très réussi. Mateo Zyoran et surtout Gabriel LaBelle sont excellents dans le rôle de Sammy tandis que Seth Rogen est méconnaissable en "oncle" jovial mais un peu trop présent. Judd Hirsch et David Lynch ne font que passer mais en peu de temps laissent une forte impression, contribuant d'ailleurs pour le second à livrer une des meilleures conclusions de film que j'ai vu depuis un bail (ce qui reste relatif vu le nombre de films récents que je laisse me passer sous le nez, d'accord). Petit plaisir aussi de voir Lane Factor de
Reservation Dogs dans un petit rôle de camarade scout de Sam. Quant à John Williams, il se montre d'une grande sobriété et de toute manière, difficile d'imaginer un autre que lui sur ce film-ci vu son importance dans la filmographie de Steven Spielberg (
certains passages rappellent
la BO de A Serious Man des frères Coen, autre film personnel dépeignant une famille juive dans les années 60. Coïncidence ou inspiration?)
The Fabelmans est-il le chef-d’œuvre de son auteur? Peut-être pas et on est en tout cas en droit de lui en préférer d'autres mais son propos et son traitement entre mémoires et fiction en font l'un des plus captivant.