Où suis-je?

Bienvenue sur ce blog consacré à un peu tout et n'importe quoi, mais où il sera principalement question de: Harry Potter et la fantasy en général, de romans d'aventures maritimes, de littérature, de séries télés (majoritairement des productions britanniques, mais pas que) et de cinéma!


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Lucky Luciano
Condamné à 50 ans de prison, Lucky Luciano est libéré en 1946, après seulement neuf ans d'incarcération, officiellement pour services rendus aux États-Unis pendant la guerre. Exilé en Italie, le gangster mène en apparence une vie bien rangée mais il est rapidement soupçonné par le Bureau des narcotiques d'organiser un trafic d'héroïne à grande échelle.

Il y a quelques mois, on a célébré les 50 ans du Parrain de Francis Ford Coppola par l'intermédiaire d'une ressortie en salle de la trilogie dont je n'ai hélas pas pu profiter. Je pondrai un jour ou l'autre une bafouille sur ce monument du cinéma même si la tâche est tétanisante. Ledit monument a quoiqu'il en soit contribué à poser une représentation des gangsters et de la mafia italo-américaine qui a fait date, une représentation avec son folklore, ses rites et une certaine icônisation. Difficile pour ses successeurs de le faire oublier et il n'est pas rare d'y faire référence de manière plus ou moins explicite quand bien même c'est pour mieux tenter de se défaire de cette ombre écrasante. Si j'en parle ici c'est parce que ce Lucky Luciano réalisé par Francesco Rosi, sorti justement entre les deux premiers volets du Parrain, adopte une approche diamétralement opposée en se penchant sur une figure majeure de la mafia. Luciano lui-même avait été approché par un producteur de films pour faire un biopic sur sa vie avant de se raviser devant la frilosité de ses anciens complices peu séduits à l'idée de ce qui pourrait être déballé. Il avait alors préféré se livrer à une série d'entretiens à mettre en forme seulement après sa mort (ce qui a donné lieu effectivement à une "autobiographie" controversée). Nul doute que du temps où il rêvait de voir sa vie et son œuvre portées à l'écran, Luciano avait autre chose en tête que ce que Rosi a mijoté.

Le personnage de Luciano est surtout un moyen d'aborder les liens entre Mafia et politique, l'implication des États-Unis qui ont facilité la mainmise des mafieux sur l'Italie de l'après-guerre, considérés comme des alliés pour lutter contre Mussolini puis le communisme. L'intrigue se déroule de 1946 à la mort de Luciano d'un infarctus en 1962 (dans un aéroport où il venait accueillir le producteur évoqué plus haut) avec deux flashbacks importants, le premier situé en 1931 montrant la prise de pouvoir de Luciano à travers diverses exécutions (celle de Joe Masseria, notamment), le second en 1944 dépeignant l'enrichissement dans une Italie ruinée de Vito Genovese grâce au marché noir, avec la complicité d'officiers américains. Rosi ne cherche jamais à mettre en valeur ses personnages de mafieux et évite les représentations pittoresques: on assiste bien à quelques banquets (dont la fête de départ de Luciano en ouverture) et on voit la fascination que peut exercer le gangster lors de son retour au village ou quand des marins lui demandent des autographes mais on évite toute idée de grandiose.

Les personnages se promènent dans des espaces désolés, que ce soit les villes appauvries ou les ruines de Pompéi dans lesquelles Luciano joue les touristes. Loin de la carte postale haute-en-couleur du retour à la terre, le ton est lugubre, clinique, et cette volonté de coller à la réalité autant que possible est allée jusqu'à demander à Charles Siragusa, chef du Bureau des Narcotiques au moment des faits, de jouer son propre rôle. Tourné en italien et en anglais sans prise de son directe comme il est de coutume en Italie, le film souffre par moment d'une post-synchronisation très visible mais reste accrocheur de bout en bout tout en se montrant austère et souvent didactique dans son déroulement. Le casting est fort réussi mais c'est surtout Gian Maria Volontè qui impressionne, plus en retenu que dans les westerns où je l'avais vu jusqu'à présent dans lesquels il se montrait volontiers plus extraverti.

Il a la tête de l'emploi et le film a beau tourner autour de lui, son Lucky Luciano reste un mystère: toujours actif mais réduit à tenir officiellement une confiserie, donnant des conférences à des journalistes peu contrariants où il semble regretter le temps de sa splendeur américaine tout en réduisant au maximum le rôle sinistre qu'il a pu jouer, il semble déjà détaché des événements. On pourrait le prendre pour un retraité désormais inoffensif mais le sort d'un ancien complice incarné par Rod Steiger placé par Siragusa pour l'espionner et le pousser à se trahir et celui d'un écervelé qui a cru malin de le gifler publiquement sont là pour rappeler qu'il est encore quelqu'un qu'il faut éviter de contrarier. Diminué par la maladie, mélancolique (il est décrit comme un homme calme aux yeux tristes), Luciano reste néanmoins trop glacial, opaque et insaisissable pour susciter la moindre compassion vis-à-vis de son exil et de sa gloire passée.

Davantage intéressé par les liens entre mafia et politique que par la mythologie entourant les organisations criminelles et un de ses plus célèbres représentants, Francesco Rosi évite le travers de nombreuses œuvres, y compris les plus réussies, qui ne peuvent éviter de rendre fascinants leurs anti-héros au risque de les rendre sympathiques et livre un film parfois ardu par sa sècheresse mais toujours passionnant.
potion préparée par Zakath Nath, le Dimanche 1 Mai 2022, 21:00bouillonnant dans le chaudron "Films".