Tony Montana, petit malfrat cubain, se retrouve à Miami suite à l'exode de Mariel. Avec son meilleur ami Manny, il se lance dans le trafic de cocaïne, d'abord au service de l'un des pontes locaux, Frank Lopez, puis du sien propre. Alors qu'il est au sommet, Tony va voir le contrôle de la situation lui échapper.
J'ai beau m'intéresser au cinéma et regarder des films régulièrement, je dois avouer qu'il y a des pans entiers du 7e art, que ce soit en terme de genres, de périodes, de réalisateurs ou de pays de production, que je connais très peu, et cela concerne des œuvres passées depuis belle lurette au rang de classique. Je n'ai par exemple vu la trilogie du
Parrain pour la première fois que cet été seulement (et non, je n'ai rien écrit dessus car je n'y arrivais tout simplement pas. Il faut que je les revois et prenne mon courage à deux mains mais ce n'est pas pour tout de suite). Quant au fameux
Scarface de Brian De Palma, c'est tout frais à la faveur d'une ressortie en salle. Dans ce cas précis cela-dit, c'est presque davantage par complétisme que pour combler une lacune dans ma culture même si c'était aussi une bonne raison d'y aller. Après avoir vu la première version de Howard Hawks et lu le bouquin d'Armitage Trail, autant en profiter pour découvrir enfin le film culte, aussi célébré par certains que réprouvé par d'autres parce qu'il n'aurait pas la fanbase qu'il devrait. Peu importe. Le fait est cependant qu'ayant d'abord vu le film de 1932 que j'adore, j'aurais de la peine à parler de celui de 1983 comme d'un film à part entière et je vais l'approcher avant tout comme un remake, avec des comparaisons inévitables. C'est aussi ce qui fait son intérêt.
De Palma et Oliver Stone ici scénariste ne se sont ainsi pas contentés de reprendre la structure de base instaurée par Hawks et Ben Hecht (ou plutôt Trail en premier lieu mais je ne crois pas que le scénario de 1983 emprunte quoi que ce soit au roman qui n'était pas déjà dans la version de 1932) - ascension fulgurante puis chute retentissante d'un caïd, qui est la même dans bon nombre d'autres films de gangsters - mais des scènes entières (l'exécution du boss après la tentative de meurtre à l'encontre de Tony...), des personnages secondaires (Frank Lopez, Manny, Elvira, Gina et sa mère en lieu et place de Jonny Lovo, Guino Rinaldo, Poppy, Cesca et sa mère...), des lignes de dialogues ou des symboles comme le slogan d'agence de voyage
The World is Yours repris à son compte par Tony, autant d'éléments bien reconnaissables. Reconnaissables certes, mais passés à la moulinette des années 80 et du style De Palma (ah, ces jeux de miroir dans la scène du night-club!). On pourrait dire que le film a vieilli, avec la musique de Moroder, les costumes clairs, les chemises pelles à tarte et les chaînes en or sur les torses poilus mais pas plus que le premier film avec son noir et blanc, ses tommy-guns et ses fédoras: les deux s'inscrivent dans leur époque, conséquence de la Prohibition et de la carrière d'Al Capone pour l'un, fruit de la Guerre Froide et de l'opposition entre Cuba et les États-Unis pour l'autre, et l'esthétique de leur période pour chacun, ce qui en fait au fil des ans ce qu'ils n'étaient pourtant pas au départ, des films historiques.
La transposition est habile, on entre plus dans les détails politiques avec au passage une critique de la politique internationale américaine et la corruption des institutions là où le film originel, censure oblige, ne montrait pas de flics corrompus et s'astreignait à un message d'ouverture moralisateur mais tout n'est pas aussi adroit. Ainsi, si De Palma peut se permettre une violence graphique bien plus ouverte (la fameuse scène de la tronçonneuse, et encore, elle joue bien du hors-champs), l'intrigue avec la sœur de Tony et le sous-texte incestueux sont beaucoup moins bien amenés: le personnage arrive trop tard pour qu'on croit à un lien profond entre les deux, et on tourne plus longtemps autour du pot avant de se montrer vulgairement explicite dans la dernière ligne droite. L'exécution finale par un simili-Terminator peut également prêter à sourire et bizarrement, aussi épouvantable soit-il, Montana apparait plus à son avantage que son prédécesseur Camonte alors qu'on aurait pu penser que plus de libertés dans ce que l'on peut représenter aurait permis d'aller plus loin dans l'ignominie: en effet, avec son refus de faire d'enfants des victimes collatérales d'un assassinat, Montana a au moins une limite qu'il ne franchira pas, rien n'indique qu'il en est de même pour Camonte.
D'ailleurs, à ce titre, on a souvent dit que si le film plaisait autant dans les cités, c'est parce que les fans, bien que conscients que le personnage ne quittait pas ce monde sur la pointe des pieds, appréciaient le fait qu'avant de mal finir, il avait au moins eu l'occasion de vivre à fond. Ce n'est pourtant pas flagrant à la vision du film où à l'exception du montage sur
Push up to the Limit soit trois minutes sur 2h45, ce pauvre Tony n'a pas l'air de croquer la vie à pleines dents, d'abord avide d'avoir toujours plus et frustré par ce qui lui manque, ensuite en dépression face au vide que ne comblent pas une superbe femme et un luxe bling-bling. Cette lecture semble en réalité mieux s'appliquer à Tony Camonte qui a l'air de régulièrement s'éclater même quand sa vie est en danger et qu'il n'est pas encore au sommet, et dont la chute est trop rapide pour lui donner le temps d'avoir le vague à l'âme.
Un petit mot sur l'interprétation avant de conclure: tout le monde est très bien dans son genre mais je me contenterai de parler d'Al Pacino. Un peu à l'instar d'Humphrey Bogart qui a su jouer deux détectives privés archétypaux, Sam Spade et Philip Marlowe en réussissant à ne pas se répéter et à bien cerner leurs différences, Pacino aura incarné deux gangsters entrés dans les annales du cinéma, Michael Corleone et Tony Montana, de manière radicalement différente (aidé par les scénaristes, certes): on est loin du glacial, réfléchi et en un sens aristocratique Michael ici et si le cabotinage est présent, finalement pas plus que chez un Paul Muni en son temps (dont le Tony n'avait même pas l'excuse de plonger le nez dans la poudreuse). Un bémol un peu distrayant néanmoins, je l'ai trouvé un peu vieux pour le rôle, avec plus de quinze ans que Steven Bauer (Manny) et Mary Elizabeth Mastrantonio (Gina) et seulement six ans de moins que Míriam Colón qui joue sa mère (ça remarquez, on a l'habitude à Hollywood). Tony, c'est un petit jeune aux dents longues, pas un quadra. Allez, on va dire que son hygiène de vie l'aura vieilli prématurément.
Quoiqu'il en soit, voilà un film que je suis bien contente d'avoir enfin découvert et pas seulement pour me dire que voilà, c'est fait, je n'y allais pas avec une véritable envie de l'apprécier mais ça a été le cas. Cela dit, j'avoue conserver une nette préférence pour la version de Hawks, qui a aussi l'avantage de durer presque deux fois moins longtemps c'est toujours plus facile à caser dans un planning (mais les 2h45 de la version De Palma passent assez facilement, mine de rien).