--> Ça spoile. Beaucoup.
1927. Comme on pouvait le prévoir, Gellert Grindelwald ne reste pas prisonnier longtemps malgré le service de sécurité qui l'entoure, et s'en repart en Europe recruter des partisans. À Londres, Norbert est contacté par Dumbledore qui le charge de retrouver Croyance avant le mage noir.
Il y a deux ans débarquait le premier opus d'une pentalogie consacrée à Norbert Dragonneau, auteur d'un livre de cours possédé par Harry Potter et dont on allait suivre les aventures durant la montée en puissance du mage noir Grindelwald. Alors que le point de départ paraissait fort mince,
Les Animaux Fantastiques se révélait une bonne base pour une préquelle: on retrouvait un univers et quelques noms familiers mais on était suffisamment éloigné de la célèbre saga pour ne pas avoir toutes les réponses nécessaires et des attentes particulières (contrairement à ce qu'aurait pu offrir une idée nettement plus tarte à la crème comme une préquelle sur les Maraudeurs. Pitié, non. Jamais). Les nouveaux personnages étaient attachants et bien campés, on retrouvait une touche de merveilleux qui s'était envolé alors que le ton des précédents films s'assombrissait tout en traitant de sujets plus douloureux. Néanmoins, les deux intrigues au ton très différent ne cohabitaient pas toujours idéalement, le fait de mettre Grindelwald très tôt en avant plutôt que le laisser dans l'ombre était discutable, le choix de l'acteur pour l'incarner encore plus.
Le deuxième volet était donc attendu au tournant: l'essai allait-il être transformé, allait-on être conforté dans les réserves que l'on pouvait avoir à l'issue du premier film? Eh bien, un peu des deux mon capitaine, mais pas forcément pour les raisons les plus attendues.
Commençons par les atouts: le scénario fait du bon travail pour camper des personnages qui sont partagés dans leurs allégeances. On insistait beaucoup sur l'importance du choix dans
Harry Potter, mais pour le héros et ses amis, il se révélait simple. Pas à vivre, mais à un niveau éthique: se battre contre Voldemort, ou se planquer quelque part. Néanmoins, ils n'étaient jamais véritablement tentés de rejoindre les Forces du Mal. Certes, il y avait bien Rogue, personnage le plus intéressant et le plus ambigu, pour qui se battre aux côtés des gentils n'avaient rien d'une évidence, et on découvrait aussi que Dumbledore avait été brièvement attiré par le totalitarisme dans sa jeunesse, mais leur revirement avait lieu bien avant l'intrigue générale, provoqué par une telle culpabilité que sans devenir des saints (quel intérêt?) on ne les y reprenait plus et si l'on en parlait, on ne le vivait pas. De ce fait, alors que Grindelwald risquait d'être l'élément qui plomberait le film, il se révèle sa meilleure carte: loin d'un Voldemort qui prêche des convaincus, son prédécesseur rallie à sa cause des gens qui ne sont pas fondamentalement mauvais et d'un racisme anti-moldu exacerbé, mais le mage noir sait appuyer où ils sont vulnérables. Certes, il a aussi des comparses totalement sinistres, il en faut, mais on sent beaucoup plus d'ambivalence de part et d'autres et qu'aucune carte ne sera totalement jouée avant la fin du cinquième film. Au-delà du fait qu'on lui ait offert un emploi, il n'y a pas à redire sur la prestation de Johnny Depp: suffisamment repoussant pour le spectateur qui sait à quoi s'en tenir, mais convaincant dans ses propos pour qu'on comprenne l'attrait que ses paroles peuvent avoir, même s'il risque d'y avoir de cruelles désillusions.
Le scénario déjoue également des attentes concernant deux personnages juste cités dans
Les Animaux Fantastiques premier du nom, Thésée Dragonneau et Leta Lestrange. Le premier, héros de guerre et Auror, dont on devinait une antithèse de son cadet viré de Poudlard et habitué à être considéré comme un
nerd ennuyeux, aurait pu être un cliché d'aîné arrogant méprisant un petit frère qui au fond vaut mieux que lui. Au contraire il apparait comme très protecteur envers Norbert et ne se laisse pas influencer par la brutalité de ses collègues (autre élément évoqué dans les livres mais illustré ici et qui ajoute à l’ambiguïté entre les forces en présence). Leta Lestrange, avec un nom qui rappelle immédiatement des fidèles de Voldemort et se qu'en disait Queenie dans le premier film, aurait pu être une vilaine sorcière séductrice, jouant avec les sentiments de Norbert pour le jeter après usage. Elle est finalement un personnage des plus touchants, tourmentée et bien moins mauvaise qu'elle ne le pense. C'est peut-être la véritable héroïne de ce film. Il est donc surprenant et frustrant de la voir s'en aller si vite malgré un beau potentiel.
Le duo Norbert/Jacob fonctionne toujours bien, le second échappant généralement au piège de l'acolyte en surpoids qui n'a pas les mêmes capacités que le héros. Quant aux animaux fantastiques, sans être le centre du film, on en a une belle galerie et ils se rendent utiles, en tenant finalement plus du gadget bondien revisité que d'un macguffin.
Enfin, Jude Law en Dumbledore était un nouveau venu attendu, et si encore une fois on ne prend pas à bras le corps l'excentricité du futur Directeur de Poudlard pour se contenter d'une malice de bonne aloi, il campe un Albus séduisant et paternel, mais dont on retrouve également les côtés les plus discutables (cette histoire de pacte de sang lui servira de bon prétexte pour repousser un duel avec Grindelwald alors que je ne doute pas qu'il est parfaitement capable de détruire le bidule quand il veut).
Venons-en maintenant au point qui fera le plus jaser, les origines de Croyance: on reconnait le goût de Rowling pour envoyer le public sur une fausse piste pour mieux surprendre, et faire de Croyance un Lestrange paraissait un argument mince pour qu'il soit une source d'intérêt: sa nature d'Obscurus était bien plus logique qu'une appartenance à une lignée magique parmi d'autres et seul Yusuf Kama avait une raison de le rechercher pour cette raison-là. Aussi, l'histoire des Lestrange, aussi alambiquée soit-elle, rassurait finalement. Puis, vient la révélation suivante, qui fera sans doute hurler quelques puristes, puisqu'on touche à un point considéré comme acquis, la composition de la famille Dumbledore. Est-ce une manipulation de Grindelwald? Ce n'est pas exclu, après tout les Dumbledore n'ont pas le monopole des phénix et il a pu s'inspirer de quelque chose qu'Albus lui aurait dit pour mieux utiliser Croyance. Cependant, je pense que ce n'est pas une fausse piste supplémentaire, car cela ferait beaucoup (troisième film: Croyance apprend qu'en fait son nom de famille est Black. Quatrième film: en fait c'est un Potter. Cinquième film: il se découvre une sœur, Eileen Prince. Non, soyons sérieux). Alors est-ce cohérent? Difficilement, mais pas impossible, cependant les explications ont intérêts à être bonnes au niveau des dates (pas le point fort de Rowling, de son propre aveux). Pour le fait de ne pas en parler dans
Les Reliques de la Mort, à ce stade, on ne sait pas si Aurélius Dumbledore se fera publiquement connaître sous ce nom, donc si Rita Skeeter aurait forcément dû en parler dans son livre. Bref, je ne suis pas hostile à l'idée, j'attends juste de voir comment Rowling se raccrochera aux branches pour la faire tenir.
Voilà pour ce qu'amène le film et si l'on pourrait reprocher le fanservice occasionnel (McGonagall, amusant sur le moment mais incohérent chronologiquement. Pour Nagini: trop tôt pour me prononcer), on peut aussi saluer le fait de bousculer les attentes et ne pas prendre le spectateur dans le sens du poil, quitte à déconcerter et déplaire. Le fond reste donc toujours intrigant. Parlons de la forme car c'est là surtout que ça se complique.
Le premier film souffrait un peu de sa construction à base de deux intrigues au ton radicalement différent. Ici, l'ambiance est plus homogène, avec encore une touche d'humour et de merveilleux mais insérée dans un métrage délibérément plus sombre. Néanmoins,
Les Crimes de Grindelwald se heurte à un écueil courant dans les seconds volets ou les secondes saisons: en plus de suivre les principaux personnages déjà présentés et qu'il faut faire évoluer, on en introduit de nouveaux. La mise en place est donc difficile pour réunir les différents personnages, et si c'est le film de Leta, les sœurs Goldstein en pâtissent. Passe encore pour Queenie. Je ne trouve pas ses motivations invraisemblables, et entendre les pensées des gens en permanence ne doit pas aider à avoir une vision claire, mais il aurait fallu plus pour la convaincre de suivre Grindelwald qu'une invitation à prendre le thé et un beau discours. Tina s'en sort encore plus mal, car il y a au moins une piste émotionnelle forte dans le couple Queenie/Jacob. Tina est ici un prétexte pour que Norbert se rende à Paris, elle ne montre pas en quoi on peut la considérer comme une Auror compétente et fait preuve de jalousie sur la base d'un malentendu digne d'une pièce de boulevard ou d'un épisode de sitcom. Il lui reste trois films pour se rattraper, il y a intérêt à ce que cela arrive. J.K. Rowling a de l'ambition, cela se sent, aime toujours autant faire ressortir un objet ou un personnage anodin pour lui donner une grande importance plus tard, mais elle a encore l'air de penser en terme de roman où une narration éclatée passe mieux et où on est moins soumis à un impératif de concision que dans un film. Espérons qu'en accumulant de l'expérience ses scenarii gomment ces défauts.
Concernant la mise en images dudit scénario, on a droit à une très belle partition de James Newton Howard, et les créatures sont pour la plupart très classes (mention spéciale au zouwu). À la réalisation, on sent David Yates toujours peu à l'aise dans les scènes d'action: ainsi, la scène d'ouverture est prenante dans le stratagème utilisé par Grindelwald pour s'évader, pose d'entrée des détails assez glauque (la dernière fois que j'ai vu Kevin Guthrie sur un écran, il avait chopé le scorbut, c'était peut-être préférable au chemin que son personnage prend là - moi qui pensait qu'Abernathy serait un genre de Percy Wealsey), mais se révèle aussi trop confuse. Yates est nettement plus à son affaire quand il s'agit de filmer des décors, et une nouvelle fois le Ministère de la Magie est bien mis en valeur. Malheureusement, les lieux donnent trop la sensation de n'être rien de plus que cela, un décor, à commencer par Paris. Pas au sens carton-pâte ou numérique du terme, mais la ville manque de vie, les personnages s'y déplacent comme sur une scène tandis que les figurants sont peu réactifs aux événements. L'équipe artistique a toujours un grand soucis du détail mais le résultat est du coup trop figé et avec une intrigue aussi sombre, c'est assez mortifère.
Les Crimes de Grindelwald réserve donc bien des surprises, rassure là où l'on pouvait concevoir des inquiétudes, peut décevoir sur d'autres points, mais en risquant de secouer un univers que l'on pensait connaître, dépend énormément de la façon dont les suite traiteront les personnages et les idées introduites pour que l'on sache s'il s'agit du segment logique d'une intrigue globale maîtrisée ou s'il annonce une sortie de route spectaculaire.