Le Docteur est en colère mais son désir de vengeance est susceptible de mettre en danger l'univers entier et pas seulement ses ennemis.
Pas évident de rédiger un petit synopsis de
Hell Bent sans spoiler ceux qui seraient en retard de quelques épisodes. À partir de maintenant, en tout cas, on va rentrer dans les détails. Cette saison a proposé beaucoup de doubles-épisodes et à l'exception du diptyque sur les Zygons, on jouait beaucoup du contraste entre les deux volets: un épisode déroulant un nombre varié de décors et de personnages précédait un huis-clos à la distribution réduite et inversement. C'est encore le cas ici où après une unité de lieu oppressante on explore Gallifrey et où après une aventure en solo le Docteur va croiser la route de beaucoup de personnages déjà connus du spectateur. C'est ce qu'annonçait les trailers et de ce point de vue là on n'est pas surpris. L'épisode n'en est pas moins déconcertant. Certes, on a l'habitude à présent de voir Moffat soulever des mystères pour ne pas y donner les réponses attendues. Ou justement, donner des réponses trop attendues et compenser en portant son attention ailleurs. À ce titre, cet épisode atteint des sommets et devrait profondément déplaire à ceux qui ont déjà du mal avec son style (cela dit, beaucoup de critiques que j'ai pu lire sur cet épisode lui adressent des reproches dont Russell T. Davies et Robert Holmes ont fait les frais en leur temps. Nulle doute que dans quelques années, on se sera calmé, trop occupé à déchaîner la foudre sur son successeur, quel qu'il soit). Un épisode déconcertant, donc, car chaque fois qu'on pense comprendre où l'on va, on bifurque dans une autre direction. Chaque fois qu'on aborde un sujet casse-gueule et qu'on semble parti pour obtenir la pire réponse possible, on respire de soulagement devant ce à quoi on vient d'échapper.
On pense que l'affrontement entre le Docteur et les Timelords va être au cœur de l'épisode? Ces derniers sont vite renvoyés à leurs chères études (pas certaines de la nécessité de ressusciter Rassilon pour cela, d'ailleurs, un Lord President anonyme aurait aussi bien fait l'affaire plutôt que cet être légendaire réduit à un vieux gâteux - désolée, Donald Sumpter, pour ta quatrième apparition dans le whoniverse). On pense avoir affaire à un écho de Clara disséminée dans la Timeline du Docteur? Non, c'est la vraie. On craint qu'elle soit ramenée à la vie? Elle ne l'est pas, son destin est scellé dans Trap Street. L'identité de l'Hybride semble trop simple avec Me, ou ravive des souvenirs douloureux d'un Docteur transformé en Spock à l'occasion d'un téléfilm draguant sans succès le marché américain? Pas de panique, ce n'est pas cela non plus. Et la réponse est à la fois cohérente, évidente et pourtant habile. On avait tourné autour de cette combinaison sans vraiment mettre le doigt dessus. Mais finalement tout ceci est secondaire.
Le véritable cœur de l'épisode est la relation entre Clara et le Docteur. Ou plutôt, l'impossibilité qu'a le Docteur à accepter de voir Clara partir. Pourquoi elle et pas une autre? Eh bien pourquoi pas? Pourquoi le Docteur est-il tombé amoureux de Rose plutôt que d'une autre compagne, au point de brûler un Soleil pour lui adresser quelques mots d'adieu? Pourquoi a-t-il attendu
The Waters of Mars pour péter un câble après avoir vu mourir des gens pendant des siècles sans pouvoir intervenir? Parce que le scénariste du moment voulait explorer cette piste et que le moment n'était pas plus mauvais qu'un autre, tout simplement. Finalement, cette fin de saison n'est pas tant sur Clara elle-même, qui a accepté son sort (sans pour autant cracher sur un sursis) mais sur le Docteur, sur son refus d'accepter la réalité et sa conduite quand il ne se soucie plus des limites. Du fait aussi, qu'il faut toujours un compagnon pour le remettre sur la bonne voie alors que tout le pouvoir des Seigneur du Temps n'y suffit pas.
On se retrouve donc avec un épisode qui écarte rapidement toute tentation du spectaculaire, sans véritable méchant (après tout, les Timelords voulaient juste une réponse simple à une question simple et ont dans leur paranoïa inutilement compliqué la situation, mais ne voulaient tuer personne) et où le seul véritable danger vient du Docteur. Danger qui se règle en discutant et en se mettant d'accord de concert sur une solution radicale mais nécessaire. La fin semble un écho inversé de la mort symbolique de Donna, puisque cette fois-ci le Docteur est celui dont la mémoire est effacée, tuant doublement Clara tout en lui offrant un nombre indéfini d'aventures dans son coin.
J'ai beaucoup pensé à
The Deadly Assassin en cette saison, au point de penser que le précédent épisode se déroulait intégralement dans la Matrice. Si le début de cet épisode m'a confirmée dans cette impression, finalement
Hell Bent, une fois de plus, a trompé mes attentes. Contrairement à Robert Holmes, Stephen Moffat ne bouleverse pas certaines idées acquises ou ne lève pas le voile sur des mystères qu'on aurait aimé conservé (éléments décriés à l'époque mais parfaitement intégrés à la série depuis.) Au contraire, il ferme un arc de dix ans en ramenant le Docteur vers son origine: quelqu'un qui voyage loin de chez lui non parce que sa planète a disparu mais parce qu'il est en bisbille avec les instances de Gallifrey, qui le considèrent à la fois comme un atout et une menace. L'audace du scénariste repose donc plus dans une volonté de ne pas construire toujours ses histoires de façon prévisible et de donner au spectateur (à celui qui fait le plus de bruit sur le net en tout cas) exactement ce qu'il exige plutôt que de remanier de fond en comble l'univers, ce que d'autres ont fait bien d'avantage avant lui (sa réputation de mégalomane me parait à ce titre totalement absurde).
À noter enfin que cet épisode comporte pas mal de petits détails agréables pour les spectateurs assidus: le TARDIS rétro, le thème de Clara joué par Twelve à la guitare, l'ambiance western du premier quart d'heure, les quatre coups, la réorchestration du thème de Nine et Ten, un nouveau tournevis sonique (rendant d'autant plus ridicule la pétition lancée au sujet des lunettes puisque l'épisode et celui de Noël étaient déjà écrit et tourné)...
à 23:27