Excédés par une bande de cow-boys qui sème régulièrement la panique dans leur petite ville minière, les habitants de Warlock font appel à Clay Blaisedell, pistolero redoutable, pour rétablir l'ordre. Tout le monde ne voit pas d'un bon œil l'arrivée du marshal et encore moins celle de son ami Tom Morgan qui ne tarde pas à ouvrir une maison de jeux. Johnny Gannon, ancien membre de la bande des cow-boys, accepte la place de shérif-adjoint et suscite la méfiance dans chaque camp.

En même temps qu'une réédition de La Prisonnière du Désert d'Alan Le May est sorti Warlock, roman d'un auteur au nom de manoir anglais, Oakley Hall, qui a également été adapté au cinéma, sous le titre L'Homme aux Colts d'Or. Film qui reprenait l'essentiel, ajoutait un handicap au personnage de Morgan mais laissait de côté de grands pans de l'intrigue. C'est en effet un beau pavé que ce roman. Il décrit les efforts d'une petite ville pour amener une loi juste et incorruptible, la civilisation, en somme. En effet, les Apaches ont beau être un lointain souvenir et leur traque l'heure de gloire d'un général désormais sénile mais toujours en poste, la paix est loin de régner dans une agglomération qui ne fait partie d'aucun comté officiel. Les shérifs se succèdent, meurent ou prennent la fuite et pour mater des voyous voleurs de bétail et meurtriers occasionnels, les bonnes gens de Warlock engage un marshal, un tueur assermenté, flanqué d'un compagnon que tout le monde déteste vite et soupçonne pas forcément à tort d'être tout aussi malfaisant que ceux qu'ils doivent chasser de la ville.

Ajoutons à cela des mineurs exploités par un patron sans pitié et qui sont à deux doigts de la rébellion violente et Warlock a tout d'une poudrière. Ce qui frappe, au travers du récit, en partie raconté par le journal pompeux mais non sans humour d'un des commerçants du coin, c'est à quel point l'opinion publique varie. Blaisedell est tantôt vu comme un sauveur plus grand que nature, tantôt comme un tueur sans âme et encombrant, par les mêmes personnes, à quelques jours d'intervalle. Il en va de même pour ses adversaires: à peine refroidis, les fauteurs de trouble deviennent de braves garçons un peu turbulents lâchement assassinés. Gannon est vu comme un traitre par ses anciens complices, comme une taupe par les habitants de la ville et a bien du mal à convaincre un camp comme l'autre qu'il n'est pas un lâche. Seul Tom Morgan semble faire l'unanimité contre lui et s'en repait tant qu'il a la confiance de Blaisedell seul, dont il est un protecteur autant qu'un poison. S'ajoutent au tableau Kate Dollar, ancienne prostituée avide de vengeance et Jessie Marlow, dévouée à la cause des mineurs, un juge alcoolique mais intransigeant et toute une galerie d'habitants plus ou moins courageux et hypocrites, et l'on a une peinture passionnante d'une ville de l'Ouest en développement mais, dépendante des mines voisines qui peuvent se tarir, vaut-elle finalement tous ces efforts?

C'est ce que l'on peut se demander en lisant les dernières pages: des bandits et des justiciers sont morts, leur réputation n'a cessé de varier, de leur vivant comme après leur mort, on ne sait pas au juste ce qu'ils ont vraiment accompli, ne reste que la légende. Blaisedell, lui, a toujours été insaisissable et le restera, encore plus que les personnages complexes qu'il aura côtoyés.