Gus Landor, policier new-yorkais retraité, est convoqué par la direction de la toute jeune académie militaire de West Point dont il est voisin: un cadet a été retrouvé pendu et plus tard, son corps a été mutilé, son cœur dérobé. Landor accepte de mener l'enquête et demande l'assistance d'un élève qui a attiré son attention, un certain Edgar Allan Poe.

Il y a désormais tout un sous-genre côté romans policiers dans lequel l'enquêteur, ou l'assistant de l'enquêteur, est une personnalité historique. Souvent artiste, plus souvent encore auteur. On a ainsi vu Jane Austen démasquer des meurtriers chez Stéphanie Barron, diverses stars de l'âge d'or d'Hollywood aider le détective Toby Peters à en faire autant chez Stuart M. Kaminsky, récemment les cheffes d'État ou de gouvernement se sont aussi mises à contribution, Elizabeth II et Angela Merkel, en tout cas. Dans Un œil bleu pâle, c'est Edgar Allan Poe qui s'y colle, un Poe encore jeune, cadet de West Point mais déjà l'auteur de poèmes publiés bien qu'il lui faille encore attendre le gloire littéraire. Qui dit Poe dit ambiance gothique et effrayante et Louis Bayard ne tarde pas à poser des éléments qui ont de quoi faire frissonner avec des victimes retrouvées atrocement mutilées, des soupçons de culte satanique et une hiérarchie militaire rigide qui entend bien surveiller de près le limier qu'elle engage.

Gus Landor, veuf, père d'une fille qui semble l'avoir abandonné, alcoolique, est néanmoins précédé d'une solide réputation mais peut-être à cause de celle-ci, il a besoin d'un espion sur place et c'est là que Poe entre en jeu. Cependant, ses rapports lyriques n'en font pas forcément un narrateur très fiable et si le coupable se trouve dans l'enceinte de l'établissement, il pourrait vite être une victime potentielle ou plus impliqué dans les meurtres qu'il ne le dit. On connait son goût pour le morbide, après tout. L'écueil lorsque l'on fait enquêter des grands esprits est qu'ils n'apparaissent pas si grands que cela et je dois dire que j'ai un peu craint le pire en voyant Poe déchiffrer péniblement un message ("...arcadaire? Quel peut bien être le mot se terminant ainsi?". Funeste souvenir du Da Vinci Code). Heureusement le reste du roman est d'une autre trempe et l'on s'amuse souvent du caractère exalté de Poe tandis que le mystère reste épais. Seule la famille Marquis est trop caricaturale pour que les révélations à son sujet surprennent ou ne paraissent pas outrancières. Cela n'empêche pas Bayard de garder encore quelques cartes en main pour ne pas rester sur une note trop grossière.

Un œil bleu pâle vaut cependant plus pour son atmosphère inquiétante que pour une enquête qui n'est finalement pas trépidante mais également pour ses allusions à l’œuvre de Poe et le portrait non dénué d'humour du grand auteur en devenir.