Né en 1902 à Grodno dans ce qui était encore l'Empire russe, Majer Suchowliński, rebaptisé Meyer Lansky à son arrivée à New York dix ans plus tard lorsque lui et sa famille s'y installent pour fuir les pogroms, va se lier d'amitié avec quelques futurs noms connus de la pègre tels que Lucky Luciano et Bugsy Siegel et opérer le plus discrètement possible dans divers trafics. Malgré son soucis de rester dans l'ombre, il va néanmoins se tailler une réputation de financier de la mafia qui va devenir encombrante tout en contribuant à sa légende.

Jusqu'ici, pour moi, Robert Lacey était le conseiller historique de la série The Crown, une fonction dûe au fait qu'il avait écrit quelques biographies de têtes couronnées. Aussi ai-je était surprise de voir qu'il ne s'était pas entièrement consacré aux Windsor et qu'il s'était aussi penché sur la vie et l’œuvre de Meyer Lansky. Cela dit, depuis que j'ai découvert que George Raft avait appris au futur Edward VIII à danser le charleston, il n'y a même pas six degrés de séparation entre Elizabeth II et toute la bande des Siegel, Luciano, Costello, Madden, peut-être même Capone, et donc, Lansky, le monde est un village.

Le livre est d'abord paru en 1991 sous le titre Little Man: Meyer Lansky and the Gangster Life avant d'être révisé et rebaptisé pour sa sortie numérique. Il a également été publié en France sous le titre Meyer Lansky, le cerveau de la Mafia. Lacey a pu s'entretenir avec des membres de la famille Lansky à la fin des années 80 et a fait de larges recherches et il en tire une biographie qui semble complète et claire, partant de l'enfance de Lansky à Grodno pour décrire son installation en Amérique, son ascension dans le crime, ses problèmes familiaux, son rôle pendant la Seconde Guerre Mondiale, sa tentative de s'installer en Israël, son équipée pour fuir au Paraguay, ses démêlés avec la justice et les dernières années de sa vie à Miami.

Ce qui en ressort finalement, c'est que bien qu'intelligent et doué pour les maths (et bien plus studieux en classe que ses collègues), il est entouré d'une sacrée légende (on parle de quelqu'un qui a inspiré le personnage d'Hyman Roth dans Le Parrain, deuxième partie, tout de même) et comme toujours avec la légende, la réalité derrière est moins flamboyante. Beaucoup de ses titres tels que "chairman of the board" de la Mafia lui ont été attribués par la presse, tout comme une immense fortune dont ses héritiers n'ont jamais vu la couleur (son fils aîné handicapé a eu une fin particulièrement sordide): tout son argent n'était pas placé à son nom, certes, mais ses richesses ont été grandement exagérées et s'il n'affichait pas grand train, à la fin de sa vie ce n'était pas uniquement par soucis de faire profil bas. Si Lansky a pu brasser beaucoup d'argent grâce à la Prohibition et aux casinos, il n'était pas si avisé en affaires que cela, son aventure cubaine a tourné court à l'arrivée de Castro au pouvoir et ses placements légaux dans le pétrole ne lui ont pas rapporté autant qu'il espérait (c'est à vous dégoûter d'être honnête!). Son premier mariage est un échec dont il est en partie responsable, ses trois enfants lui ont causé plus de soucis que de satisfactions et les dernières années de sa vie ont été passés en procédures judiciaires, même si ses ennuis de santé lui auront au moins permis d'échapper à une vraie condamnation.

Si l'on se lance dans cette biographie en espérant y découvrir le portrait d'un véritable génie du Mal, d'un Napoléon du crime, on en sera pour ses frais. Lansky était l'un des gangsters majeurs de la première moitié du XXe siècle mais les articles sensationnalistes et la fiction ont grandement contribué à son image. Robert Lacey remet donc quelques pendules à l'heure sans jamais ennuyer son lecteur même si certaines parties (les ennuis avec la justice) sont moins palpitantes que d'autres (les débuts).