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Bienvenue sur ce blog consacré à un peu tout et n'importe quoi, mais où il sera principalement question de: Harry Potter et la fantasy en général, de romans d'aventures maritimes, de littérature, de séries télés (majoritairement des productions britanniques, mais pas que) et de cinéma!


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La Porte du Paradis
Vingt ans après avoir été diplômé de Harvard, James Averill est devenu shérif dans le Wyoming où les riches éleveurs tentent de chasser les petits fermiers récemment arrivés d'Europe qui s'installent dans la région. Un seul tueur à gages, Nate Champion, n'y suffisant pas, Frank Canton, à la tête du syndicat des éleveurs de bétail, dresse une liste de 125 personnes à éliminer avec le soutien tacite du gouvernement américain.

Un film doit-il se juger uniquement pour ce qui est à l'écran ou doit-on prendre en compte le contexte qui l'entoure? Vous avez quatre heures. Quoiqu'il en soit, dans le cas de La Porte du Paradis de Michael Cimino, difficile d'en parler sans évoquer sa production infernale, ses dépassements de budget dûs au perfectionnisme et à la mégalomanie du metteur en scène, sa durée de 3h40 un temps réduite à 2h30 et son accueil catastrophique, entre flop public, critiques assassines et effondrement de United Artists, avant sa réhabilitation progressive. Depuis, La Porte du Paradis a une aura de chef-d’œuvre maudit.

On peut dire, en tout cas, que les moyens sont à l'écran (prévu pour 12 millions de dollars, le film en a finalement coûté un peu plus de 40, ce qui est peanuts de nos jours mais colossal à l'époque, surtout pour un western). Les décors sont riches et fouillés et les personnages évoluent dans des paysages sublimes et paisibles contrastant avec la cruauté de leur société. L'histoire s'inspire d'un épisode de la Conquête de l'Ouest appelé la Guerre du Comté de Johnson, qui était déjà la base d'autres westerns comme L'Homme des Vallées Perdues où de modestes fermiers affrontaient un riche éleveur prêt à tout pour les chasser. Néanmoins, tout le monde y était bien WASP alors que dans le très long-métrage de Cimino, les nouveaux habitants qui tentent de se faire une place sont originaires d'Europe de l'Est, une population d'immigrants sur laquelle on centre finalement assez peu de westerns. Dans ce contexte déjà prometteur, Cimino pose des protagonistes nuancés ou aux trajectoires inattendues.

Alors que la première scène laissait penser que l'on suivrait l'évolution d'un pied tendre sorti d'Harvard découvrant l'Ouest violent, à la L'Homme qui tua Liberty Valance, une ellipse nous montre Averill vingt ans plus tard en shériff aguerri, qui tente de protéger les pauvres fermiers des puissants propriétaires. Nate est d'entrée de jeu présenté comme un tueur froid mais s'humanise au fur et à mesure, à travers notamment sa relation avec Ella. Celle-ci, qui partage son temps entre Nate, Averill, son bordel et la confection de tartes, tente de mener sa vie comme elle l'entend dans le lieu qu'elle a choisi tandis que Billy Irvine, camarade de promotion déluré d'Averill, ne pratique plus que l'humour du désespoir et l'alcoolisme, témoin des exactions d'un syndicat des éleveurs dont il fait partie sans avoir le courage de s'y opposer autrement que par des protestations molles et des remarques sarcastiques. Le casting est de haute volée, Kristofferson est solide, Isabelle Huppert n'a pas la stature glaciale qu'elle va acquérir, Walken est impeccable et on croise aussi bien Jeff Bridges qu'un Mickey Rourke encore inconnu (il parait que Willem Dafoe est aussi dans le film, pas repéré). Cimino filme tout cela avec gourmandise et prend son temps, s'attardant sur un bal en patins à roulettes, lâchant tout dans une bataille finale explosive, bref, La Porte du Paradis a tout de la grande fresque luxueuse et fascinante.

Pourtant, sans adhérer aux critiques qui ont descendu le film, on peut comprendre pourquoi le mastodonte a pu déconcerter et n'a pas attiré le public de l'époque. En plus d'un regard critique sur un épisode de l'histoire des États-Unis qui avait de quoi rebuter une partie des spectateurs outre-Atlantique, difficile de ne pas penser que l'ambition de Michael Cimino ne l'égare pas par moments. Son film n'est pas le premier à dépasser les 3h30 mais sa construction est étrange. Un prologue où Kris Kristofferson et John Hurt, trop vieux pour leurs personnages (ils ont été choisis en fonction de la suite qui se déroule deux décennies plus tard) détonnent en étudiants facétieux. Certains personnages disparaissent, mettent du temps à émerger (Brad Dourif est très mutique par rapport à son temps de présence à l'écran) et la dernière scène est tellement énigmatique qu'on se demande si elle était nécessaire.

Fresque excessive et imparfaite à l'échec commercial retentissant considéré comme le glas du Nouvel Hollywood, désormais disponible dans un director's cut élaboré par Cimino en 2012, La Porte du Paradis est un des films qui auront marqué l'histoire du cinéma, douloureusement en 1980 avant de devenir un de ses plus beaux classiques.
potion préparée par Zakath Nath, le Lundi 15 Août 2022, 23:15bouillonnant dans le chaudron "Films".