Un petit village de Nouvelle-Angleterre organise sa loterie annuelle, qu'il est déconseillé de remporter. Une charmante vieille dame remarque que ses concitoyens ont l'air contrarié mais peut-être est-elle bien placée pour savoir pourquoi. Un homme rentrant chez lui est persuadé d'être suivi par un inconnu et ne peut compter sur aucune aide en chemin... En tout, treize nouvelles inquiétantes signées Shirley Jackson.

Parce que nombre de successeurs et d'admirateurs de Shirley Jackson - Stephen King notamment - ont pu aller beaucoup plus loin beaucoup plus souvent, il est déconcertant, après avoir enfin lu la fameuse nouvelle La Loterie de lire qu'à sa publication dans le New-Yorker à la fin des années 40, elle a pu créer un véritable scandale. Cependant, elle n'a pas perdu son aspect dérangeant, avec ses premiers paragraphes faussement rassurants, décrivant ce qui s'annonce comme une fête de village à l'atmosphère bon enfant, où tout le monde se connait et s'apprécie, ce qui n'en rend la chute que plus brutale.

Comme dans tout recueil de nouvelles, les différentes histoires ne sont pas aussi marquantes bien qu'aucune ne soient mauvaise. La Lune de miel de Mrs Smith et L'apprenti sorcier m'ont laissée perplexe, Quelle idée est concise mais sans mauvais jeu de mot percutante. Les plus réussies sont Louisa, je t'en prie, rentre à la maison, le récit de la fugue d'une jeune femme qui ignore pendant des années les appels de sa mère à la radio pour reprendre presque par hasard le chemin du bercail, sans y recevoir l'accueil attendu, La Possibilité du Mal par sa description d'un type de malfaisance bien ordinaire, Paranoïa où un paisible quidam semble poursuivi et avoir le monde contre lui, et pour clore en beauté, Les Vacanciers, où un couple de retraités décide de quitter plus tard que d'ordinaire leur résidence secondaire pour découvrir que les habitants de coin jusque-là hospitaliers voient d'un mauvais œil ce délai. Ce qui revient régulièrement, c'est la manière dont l'angoisse et l'horreur pointent dans un contexte en apparence tranquille, fait de petites villes américaines ordinaires et ronronnantes ou dans des foyers que l'on pourrait croire unis. Même À la maison, qui en surface ressemble à une traditionnelle histoire de fantômes, tient son intérêt non dans les apparitions qui vont d'abord exciter puis effrayer la protagoniste mais dans le fait qu'elles permettront son acceptation par les villageois du coin où elle et son mari se sont installés.

L'inquiétude et le sentiment d'oppression qui émergent lentement ou brusquement d'un cadre rassurant, cela a été fait bien des fois mais en la matière, Shirley Jackson est maîtresse et les élèves qui peuvent se targuer de se hisser à sa hauteur ne sont pas si nombreux.

(La Loterie a également été publiée chez Pocket Terreur dans les années 90 avec d'autres nouvelles pour l'accompagner, même si c'est seulement elle qui donne le titre au recueil. Les nouvelles en question n'ont pas l'air d'être les mêmes que dans cette édition Payot/Rivages, il faudra donc que j'y regarde de plus près).