Au crépuscule d'un long règne qui a stabilisé le royaume des Sept Couronnes et consolidé la dynastie des Targaryen sur le Trône de Fer, Jaehaerys Ier convoque un grand conseil pour trancher la question de sa succession. Le vote désigne de manière écrasante son petit-fils Viserys plutôt que sa cousine Rhaenys, pourtant son aînée. Quelques années plus tard, devenu lui-même roi, Viserys, père de la jeune Rhaenyra, s'inquiète à la perspective que son seul héritier mâle soit son frère cadet, le remuant et cruel prince Daemon.
Nous y voilà enfin, au démarrage de ce premier spin-off de
Game of Thrones, basé sur les chapitres de
Fire and Blood consacrés à la Danse des Dragons, cette querelle dynastique entre Targaryen débutée à la mort du roi Viserys Ier. Comme ce premier épisode va s'employer à le montrer, les germes du conflit remontent bien des années en amont.
Fire and Blood n'étant pas un roman mais un pastiche de livre d'Histoire, les scénaristes avaient plus de latitude pour les choix de caractérisation en fonction des interprétations des événements ou dans la création des dialogues et certaines libertés sont déjà prises, comme le caractère moins bon vivant de Viserys tout de même montré comme bonne pâte mais faible, la compression de certains événements (la série va néanmoins s'étaler sur plusieurs dizaines d'années), la forte amitié entre Rhaenyra et Alicent, et un ajout de taille dont je parlerai plus tard.
Ma crainte était qu'on s'y perde dans cette famille alors beaucoup plus nombreuse et compliquée qu'elle ne l'était dans
Game of Thrones mais cette introduction fait du bon boulot pour poser chaque personnage et la nature de leurs revendications possibles au trône. Plus resserré sur Port Réal, elle a un côté un peu plus intimiste pour l'instant que la série-mère tout en bénéficiant de beaux moyens: ainsi, si une de mes déceptions avaient été de voir le Tournoi de la Main, censé vider les caisses du royaume, réduit à n'être pas plus flamboyant que les joutes pour touristes dans les châteaux forts qu'on visite en vacances, ici on nous en offre un qui a autrement plus d'allure. Avec une action située 172 ans avant les aventures de Daenerys, les lieux sont un peu différents: pas de Septuaire de Baelor (le centre religieux est encore Oldtown) mais des fosses aux dragons en plein fonctionnement, salle du trône et trône un peu différent... Le travail sur les costumes est aussi recherché et intéressant, les vêtements des Targaryen notamment fourmillent de détails, on sent la patte de la même équipe artistique mais la mode n'est pas tout à fait la même, bref, on ne commet pas l'erreur de montrer un univers médiéval totalement figé d'un siècle à l'autre. La musique de Ramin Djawadi n'abuse pas de reprise des thèmes connus, quand ils arrivent ils ont un sens mais tout cela contribue à nous remettre dans un monde familier tout en montrant qu'on n'est pas à la même époque.
Le casting est globalement réussi mais de cet épisode émerge surtout Paddy Considine en roi humain mais obsédé à l'idée d'avoir un fils au point de négliger une fille qu'il aime pourtant. Les scénaristes le montrent à plusieurs reprises se couper sur le trône, signe dans les livres d'usurpation de ce dernier (Joffrey s'y blessait une fois, ce que la série n'avait pas conservé... il faut dire que les lames étaient plus émoussées alors). Comme un parti-pris vis-à-vis de la mise à l'écart de Rhaenys sur la base de son sexe. À voir dans quelques saisons si l'idée est conservée pour un autre personnage à qui cela arrive dans
Fire and Blood. Milly Alcock est lumineuse en Rhaenyra, "le délice du royaume" comme elle était connue dans sa jeunesse mais elle laissera place en cours de saison à Emma D'Arcy qui en donnera une autre vision, donc il vaut mieux ne pas trop s'attacher. Matt Smith en Daemon de son côté assure le quota de sexe et de violence attendu de Westeros et d'HBO et une des scènes-phares de l'épisode montre en parallèle une mêlée absurdement violente et une césarienne fatale, comme pour mettre en miroir les guerres que l'on exige de chaque sexe (je me demande toutefois si cela n'aurait pas eu plus d'impact de montrer les chevaliers jouer à la guerre sans grande conséquence - c'est censé être un sport dangereux, pas une boucherie - tandis que la reine, elle, n'est pas là pour s'amuser et n'a pas le choix de déclarer forfait quand cela devient trop brutal).
Quelques réserves, cependant. Pas de générique pour une raison bidon, alors que ce dernier joue beaucoup sur l'identité d'une série et que celui de
Game of Thrones était particulièrement marquant. On en a annoncé un mais je déteste quand on évacue bêtement le générique pour un simple écran-titre. En dépit de quelques scènes cruelles, ce premier épisode ne bénéficie pas comme
Winter is Coming en son temps d'être encadré par une scène d'ouverture horrifique et une conclusion qui ne l'est pas moins dans un autre genre. On démarre doucement et la première scène avec voix-off est beaucoup plus classique. Enfin, pas tout à fait un reproche mais une interrogation: l'idée de lier les deux séries en montrant les rois Targaryen conscients de la future menace pour l'humanité au-delà du Mur et l'importance qu'un membre de leur famille soit en mesure de la combattre, information amenée par un rêve prémonitoire d'Aegon le Conquérant.
Apparemment, il s'agit d'une théorie de fan que George R.R. Martin a approuvé et tenu à ce qu'elle soit intégrée dans la série. Elle ne pose pas de soucis de cohérence: Rhaegar quelques générations plus tard a de toute évidence eu le même type de rêve, certains Targaryen ont des prémonitions de ce genre donc pourquoi pas Aegon. Cependant, le besoin de lier ainsi les deux séries à travers un enjeu supplémentaire qui n'aura pas d'importance pour les personnages qui nous occupent parait un peu artificiel, tout comme la présence d'une dague bien connue à la ceinture de Viserys. Peut-être est-ce pour donner à Rhaenyra une motivation plus sympathique, avec en ligne de mire le salut de l'humanité et pas seulement sa place sur le trône, de ne pas faire de la guerre à venir une simple question d'ambition pour le pouvoir entre parents qui mettent le royaume à feu et à sang parce qu'ils sont vexés dans leur petit être de ne pas coiffer une couronne mais cela risque d'être à double-tranchant: une femme ne peut-elle pas juste se battre pour obtenir ce dont on l'a lésé parce que femme, faut-il qu'elle ait pour mission de sauver le monde afin qu'on soit de son côté?. Il est encore tôt dans une série qui devrait compter trois ou quatre saisons donc ceci n'est que spéculations et les scénaristes ont peut-être tout autre chose en tête.
Quoiqu'il en soit, voilà un début solide et classieux, confectionné avec savoir-faire et sérieux, qui nous replonge agréablement dans le bain sans sentir le
Game of Thrones au rabais.