Où suis-je?

Bienvenue sur ce blog consacré à un peu tout et n'importe quoi, mais où il sera principalement question de: Harry Potter et la fantasy en général, de romans d'aventures maritimes, de littérature, de séries télés (majoritairement des productions britanniques, mais pas que) et de cinéma!


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Dans l'ombre du maître
Theresia von Helferstorfer mène une vie tranquille dans le couvent dont elle est pensionnaire quand elle croise la route du jeune compositeur de la Cour, Antonio Salieri, alors en pleine ascension. Coup de foudre, mariage. Tout va pour le mieux pour Theresia qui peine cependant à trouver sa place auprès d'un mari très sollicité.

Mozart, la sœur de Mozart, l'épouse de Mozart, le librettiste de Mozart, le rival de Mozart... Les fictions autour du compositeur et de son entourage ne manquent pas. On ne croirait pas, à lire les plus connues sur le dernier cité, Antonio Salieri, puisque c'est lui, que ce dernier n'était pas un sinistre personnage qui ruminait sa rancœur dans une grande maison vide mais un homme sociable, marié et père d'une famille nombreuse. On ne sait pourtant pas grand chose de son épouse en dehors de simples données d'état civil et des circonstances de leur union à travers un récit romanesque et fleur-bleue que l'on doit à Salieri lui-même alors que sa chère et tendre n'était plus de ce monde: était-il fidèle à la réalité ou relatait-il l'histoire telle qu'il voulait s'en souvenir ou que l'on s'en souvienne? Le mystère reste entier. Du caractère et de l'apparence de Theresia, on ne sait finalement rien, autant dire qu'en tant que personnage de roman, il laisse pas mal de possibilité.

On sent qu'Aurélie Mendonça a fait des recherches avant de se lancer dans l'écriture de son roman: ainsi la rencontre entre Theresia et Salieri cadre avec la version de ce dernier. Trop pourrait-on alors reprocher, sans demander pour autant un point de vue totalement opposé. La romancière mentionne aussi la cantate écrite conjointement par Mozart et Salieri pour Nancy Storace (mais pas de Cornetti à l'horizon, qui qu'il ait pu être), ou l'intrigue autour de la paternité des Danaïdes. Cependant, il y a aussi des erreurs factuelles qui ne peuvent toutes se justifier par le fait que Theresia connait peu la musique et n'est pas au fait de tous les points de la carrière de son époux: confusion entre opéra et oratorio, par exemple, prénoms très fantaisistes de certains de leurs enfants, Les Horaces créé après Tarare (alors que justement, l'échec du premier a été vite effacé par le succès du second)... On ne peut pas qualifier d'erreurs ce qui est parfois de la licence artistique. Encore, quand on fait le choix de prendre ses distances avec des faits avérés, faut-il en faire quelque chose. Imaginer que Theresia ait accompagné son mari en France pour la rendre plus active, pourquoi pas, mais on n'en tire des entrées de journal très succinctes: elle a rencontré Beaumarchais, par exemple, mais on n'en saura pas plus sur le bonhomme. Mozart n'est jamais loin et si Salieri est absout ici de toute intrigue, on tombe dans l'excès: de sa proximité avec le ménage Mozart au point d'héberger sa veuve dans le besoin, dans l'admiration béate de l'Italien pour la musique du Salzbourgeois... Une fois Mozart mort, Salieri semble d'ailleurs dépérir au point que cela semble expliquer sa baisse de créativité, là encore très exagérée... Non, il n'a pas quasiment arrêté de composer au tournant du XIXe siècle en dehors de messes même si son dernier opéra date de 1804, et certainement pas d'enseigner (à Franz Xaver Mozart notamment et non son frère aîné comme c'est dit ici). Certes, Theresia n'aura pas pu connaître Schubert et Liszt mais elle a forcément croisé le peu discret Beethoven, dont on ne dit rien.

L'autrice fait de son mieux pour faire exister Theresia hors de l'ombre envahissante de son époux et de celle encore plus envahissante de ceux qu'il a côtoyé. La jeune femme s'interroge sur sa place, se réfugie dans l'écriture mais on reste en surface: Theresia n'a pas pu mener une vie aventureuse, ici elle est dépeinte comme d'un caractère effacé, ce qui se tient, finalement peu présente à la cour, dévouée envers ses enfants et son mari, ce qui laisse peu de place à des aspirations fort sages au demeurant. On se demande tout de même comment, alors qu'elle regarde d'un mauvais œil les greluches qui se pressent autour de son célèbre époux (ah, Salieri, l'irrésistible!), elle ne découvre l'existence de la Cavalieri qu'au moment de l'épisode (réel) où Mozart invite le compositeur et la Cantatrice à une représentation de La Flûte enchantée.

Montrer un Salieri intime loin des clichés n'était pas sans intérêt, tout comme revisiter sa relation à Mozart (puisque c'est apparemment inévitable d'en passer par là) à travers un regard extérieur mais proche; explorer les aspirations d'une femme de l'époque au rôle bien défini par la société avait aussi ses attraits mais Dans l'Ombre du Maître ne creuse malheureusement aucun de ses différents aspects. La lecture n'en est pas moins agréable car sans avoir un vrai pastiche d'un journal intime d'une bourgeoise du XVIIIe siècle, Mendonça a une plume suffisamment recherchée pour être crédible. On reste sur le sentiment que le résultat méritait d'être plus fouillé, rigoureux, et un peu moins sucré; le sucre étant toutefois peut-être un hommage à Salieri et sa fameuse addiction!
potion préparée par Zakath Nath, le Mardi 12 Novembre 2024, 16:25bouillonnant dans le chaudron "Littérature".