Une brume renfermant des créatures terrifiantes se répand depuis une petite bourgade du Maine. Un singe mécanique cassé signe un arrêt de mort chaque fois que ses cymbales claquent. Un naufragé est prêt à tout pour survivre. Un écrivain est persuadé de tenir son inspiration d'un elfe caché dans sa machine à écrire. Un vieil homme craint qu'un camion sans roues cherche à le tuer...
Paru sous le titre original
Skeleton Crew,
Brume est un recueil regroupant les premières nouvelles de jeunesse de Stephen King publiées à la fin des années 60 et d'autres datant des années 80, alors qu'il s'était imposé comme un romancier-star mais dont on n'imaginait peut-être pas encore la longévité. La sélection est variée dans le style et les sujets mais d'un niveau relevé, avec toutefois des récits bien plus marquants que d'autres. Petit tour d'horizon.
On commence avec le gros morceau par sa taille et sa notoriété,
Brume, presque un court roman: en 200 pages, on suit un père de famille et son fils cantonnés dans un supermarché entouré par une brume étrange dont émergent des monstres horribles. Alors qu'il comprend peu à peu l'origine probable du problème, la survie s'organise mais les esprits s'échauffent aussi dans la petite communauté. Un point de départ classique mais propice à de belles scènes horrifiques et naturellement, on craint autant les gloumoutes dehors que les humains dedans. Difficile de relire la nouvelle sans penser à l'adaptation de Frank Darabont, très fidèle dans l'ensemble même si elle fait sauter une scène de sexe inutile que King lui-même regrettait et surtout change la fin, plus cruelle pour le protagoniste mais rassurante sur l'état du monde que celle de King, très ouverte.
On enchaîne sur une très courte nouvelle et plus ancienne,
En ce lieu, des tigres dans laquelle un petit garçon à la terrible institutrice doit aller aux toilettes pendant un cours... pour y trouver un tigre. C'est léger, on sent un peu le fantasme de l'élève qui se venge de son instit' tyrannique mais si j'ose dire, ça ne pisse pas bien loin.
Le Singe fait partie de ces nouvelles que j'ai découvertes ado dans un librio qui comportait un double programme et même si avec le recul le protagoniste ne me plait pas beaucoup, on a un bel exemple d'un objet ordinaire utilisé pour terrifier, ici avec un singe mécanique maléfique. Très efficace.
La Révolte de Caïn est moins facile à aimer. King a fait retirer des ventes son roman
Rage suite à la tuerie de Columbine car le narrateur prenait en otage sa classe non sans avoir abattu des membres de l'équipe enseignante. Libre à chacun de penser que cette décision est justifiée ou non. On en a en tout cas comme un brouillon ici avec un personnage principal méprisant pour ses congénères qui à la fin d'un trimestre de fac fait un carton sur les élèves et leur parents qui n'ont pas encore quitté la résidence. Il s'agit d'une nouvelle datant de 1968, époque où ce genre de fait-divers était moins courant.
Le raccourci de Mme Todd offre un changement agréable puisqu'on tombe dans le réalisme magique dans ce récit où un vieil homme se souvient de la première Mme Todd, épouse disparue d'un riche estivant. Elle avait l'habitude d'emprunter des raccourcis avec sa voiture, des raccourcis de plus en plus courts, improbables et inquiétants... On a quelques frissons mais on retient surtout une belle histoire de liberté avec une petite touche romantique.
Après un regard vers le passé, on part dans le futur avec
L'Excursion: un père de famille en partance sur Mars raconte à ses enfants et sa femme pour les faire patienter les recherches qui ont débouché sur la téléportation, moyen de transport qu'ils sont sur le point d'utiliser. Le récit est assez artificiel (qui est capable de raconter au débotté une histoire de cette façon?) mais contient quelques idées glaçantes comme l'utilisation criminelle de la machine et surtout la fin qui justifie à elle seule la lecture.
Bien moins mémorable et pour tout dire je n'en avais aucun souvenir alors que j'ai déjà lu le recueil,
Le Gala de Noces: le leader d'un groupe de jazz accepte de jouer aux noces de la sœur obèse d'un gangster pendant la Prohibition. La soirée tourne mal. Ce n'est pas mauvais du tout mais je comprend pourquoi elle s'est effacée de mon esprit, il n'y a rien de particulièrement remarquable dans cette histoire.
Paranoïa: une mélopée. Stephen King, le poète. Alors de trois choses l'une: soit ce n'est de base pas terrible, soit la traduction fait perdre tout intérêt au texte, soit je ne suis qu'une béotienne larguée dès que le poème ne rime pas ou ne respecte pas un certain nombre de pieds mais ça m'a fait une belle jambe. Au moins c'est vite lu (gardons l'hypothèse béotienne).
Le Radeau: autre gros morceau avec quatre jeunes qui vont se baigner hors saison et se retrouvent coincés sur un radeau alors qu'une mystérieuse "tache d'huile" qui n'en est pas une entreprend de les dévorer. Les héros semblent sortir d'un film d'horreur pour ados, il y a une scène de sexe encore plus superflue que dans
Brume mais les morts sont particulièrement craspecs. Par contre le personnage de Laverne, c'est juste pas possible. Cela dit, elle est vue du point de vue d'un personnage pas forcément plus sympathique au fond.
Machine divine à traitement de texte: un écrivain méprisé par sa femme et son fils se voit offrir une machine à traitement de texte construite par son neveu récemment décédé. Elle lui permet de modifier la réalité et il en fait bon usage. Assez
Qautrième Dimension dans l'idée, un peu méchant aussi mais pourquoi pas même s'il ne faut pas trop chercher.
L'homme qui refusait de serrer la main: nouvelle que j'avais aussi lu ado encore par Librio, puis une deuxième fois au sein de ce recueil sans jamais m'en souvenir même si l'histoire est vite prévisible. On retrouve le club de gentlemen de
La Méthode respiratoire et son majordome Stevens, cette fois pour un récit à base de malédiction indienne. King s'essaie au récit old-school très anglais, c'est bien imité mais pas très personnel.
Sables: un vaisseau s'écrase sur une planète des sables, les deux survivants commencent à sentir l'effet des lieux. Du suspense au moment du sauvetage, l'idée est effrayante mais superficiellement explorée.
L'image de la Faucheuse est l'une des toutes premières de King, une courte histoire de miroir maléfique qui fonctionne sans aller chercher très loin mais ça promettait pour la suite.
Nona évoque davantage un roman noir avec un jeune marginal faisant un bout de chemin avec une jolie fille rencontrée au hasard mais qui l'entraîne sur la pente du crime. Peut-être n'est-elle pas une simple jeune fille ou peut-être le protagoniste est-il complètement cinglé...
Pour Owen est un deuxième poème, j'imagine composé pour le fils de King appelé Owen. J'espère qu'il a été content.
Le Goût de vivre est en revanche un morceau de choix. Un chirurgien échoué avec un chargement d'héroïne en est réduit aux pires extrémités pour survivre. En fait ce sont plutôt ses extrémités qui se réduisent. L'idée est atroce. Le caractère pourri du protagoniste peut paraître une facilité compte-tenu de son sort horrible et pour une fois qu'un italo-américain à la vedette, c'est un criminel, bravo le cliché.
Le camion d'oncle Otto: un vieil homme riche souffre de paranoïa sur ses vieux jours ou plutôt est très conscient d'être visé par une vengeance d'outre-tombe. Simple et sympa.
Livraisons matinales (laitier n°1): première partie d'un diptyque bizarre, on suit ici un laitier dans sa tournée qui laisse de très mauvaises surprises dans certaines bouteilles. De quoi bien commencer la journée.
Grandes Roues : Où l'on lave son linge sale en famille (Laitier n°2): dans la deuxième partie, on suit Rocky, employé de blanchisserie évoqué dans la première qui rend visite à un ancien camarade de classe devenu garagiste, se saoule avec lui et obtient une vignette pour son tacot. Le laitier se rappelle à leur bon souvenir, c'est toujours très étrange, on sent que King expérimentait mais dans quel but?
Mémé en revanche, c'est du lourd. Un petit garçon reste seul avec sa grand-mère moribonde quand sa mère doit se précipiter à l'hôpital au chevet du grand frère. La grand-mère a une réputation sinistre qui s'explique alors que les souvenirs du gamin ressurgissent et c'est tout simplement terrifiant.
La Ballade de la Balle élastique est une longue nouvelle (aussi découverte ado avec Librio) où l'on parle un peu de création et du monde de l'édition mais surtout de folie, ou en est-ce? Probablement trop long pour ne pas perdre en cours de route de son aspect percutant mais cela reste une bonne histoire.
J'avais lu
Le Chenal à la suite du
Singe et à l'époque, cette nouvelle mélancolique sur le dernier voyage d'une vieille dame qui n'a jamais quitté son île de sa vie et traverse enfin le chenal gelé vers le continent m'avait paru plutôt ennuyeuse, faute de singe ou autre créature maléfique. Avec l'âge, elle passe bien mieux et se révèle très belle.