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Bienvenue sur ce blog consacré à un peu tout et n'importe quoi, mais où il sera principalement question de: Harry Potter et la fantasy en général, de romans d'aventures maritimes, de littérature, de séries télés (majoritairement des productions britanniques, mais pas que) et de cinéma!


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Amadeus
Après une tentative de suicide, Antonio Salieri, vieux musicien tombé dans l'oubli, se livre à une incroyable confession: quelques décennies plus tôt, compositeur à la cour de l'empereur Joseph II, il s'est employé à détruire Mozart, rival de génie dont le talent éclipsait le sien. Une obsession qui à en croire Salieri, est allée jusqu'au meurtre.

Faut-il bénir ou maudire Alexandre Pouchkine puis Peter Shaffer et Milos Forman pour avoir popularisé l'idée qu'Antonio Salieri, qui pour ce qu'on en sait n'a jamais fait de mal à une mouche, avait assassiné Mozart? Ce n'est pas une postérité très flatteuse. D'un autre côté, cette légende noire n'a pas été sans susciter quelque curiosité pour sa musique loin d'être médiocre lorsque nombre de ses contemporains sont devenus de parfaits inconnus à l'oreille du grand public. Quoiqu'il en soit, son nom sera sans doute à jamais associé à Amadeus, adaptation aux huit oscars de la pièce à succès de Peter Shaffer réalisée par Milos Forman. Film que l'on a dû être un certain nombre à avoir vu pour la première fois en cours de musique au collège. Amadeus n'est donc pas un véritable biopic, que ce soit de Mozart ou de Salieri. Néanmoins, puisqu'il s'agit du récit d'un vieil homme enfermé dans un asile, la subjectivité est de mise et les libertés nombreuses sont justifiées par le procédé.

Souvent réduite à une histoire de jalousie de la part d'un compositeur médiocre envers un pur génie, l'intrigue d'Amadeus s'avère plus subtile. La lutte de Salieri n'est pas contre Mozart mais contre Dieu et s'avère donc d'un niveau autrement plus spirituel. Son ressentiment n'est d'ailleurs pas instantané: Salieri est un grand admirateur, dès le départ, de la musique de Mozart. Déconcerté lorsqu'il le voit en chair et en os pour la première fois par sa vulgarité et sa puérilité qui contrastent avec la beauté de sa musique, il est tout de même curieux de le voir s'installer à Vienne et compose même en son honneur une marche de bienvenue. Ce n'est que quand Mozart l'humilie sans le vouloir en améliorant sans effort son morceau que la rancœur arrive. Plus que de la jalousie, Salieri adopte une attitude que l'on retrouve chez des fans déçus par l'indifférence ou le manque de reconnaissance de leur idole, où l'adoration se transforme en haine parfois obsessionnelle. De nos jours cela consiste le plus souvent à baver sur twitter mais on a assisté à des excès plus violents. Dans le cas de Salieri, le voilà cherchant à ruiner la carrière viennoise de Mozart avant d'élaborer un plan pour le conduire à la mort et s'approprier ce qui devrait être son ultime chef-d’œuvre, mais cette lutte à sens unique revêt donc un aspect moins terre-à-terre: c'est après Dieu que le compositeur italien en a, incapable de comprendre comment ce dernier, avec qui il pense avoir passé un pacte pour devenir un musicien admiré, a pu le rabaisser en le confrontant à un génie qui a ses yeux n'a fait aucun des sacrifices que lui-même a dû consentir pour arriver au sommet.

Au premier abord, le choix du titre n'est qu'un moyen de ne pas intituler platement cette histoire Mozart ou Mozart et Salieri (déjà pris): le surnom de Mozart, "aimé de Dieu", peut toutefois s'appliquer aux sentiments contrastés que Salieri Lui voue, tout comme au compositeur surdoué qu'il considère comme un véhicule divin. "Aimé de Dieu", c'est ce que le musicien italien pensait être avant l'arrivée de Mozart. Milos Forman illustre ce combat vain et et voué à l'échec de manière particulièrement dynamique, ponctuant évidemment ses scènes de la musique de Mozart, adoptant des partis pris audacieux (et remis en cause) comme le choix de faire chanter en anglais les opéras en allemand par contraste avec ceux en italien ou en dépeignant de manière bouffonne certains personnages secondaires comme la belle-mère de Mozart ou Joseph II et sa cour. Cela contraste avec la finesse de Salieri qui tout en poursuivant secrètement Mozart de sa vindicte est aussi le seul à prendre toute la mesure de son génie. Cependant, puisque l'on a affaire au récit partial de Salieri, n'est-ce pas une autre manière de flatter son égo blessé que de se présenter de la sorte?

Dans ce rôle tragique, F. Murray Abraham, justement récompensé d'un oscar, est exceptionnel, passant de l'émerveillement total à la fureur intérieure, maintenant un masque de bienveillance en public qui cache à grand peine ses fourberies. Tom Hulce, qui n'a malheureusement pas eu la carrière de premier plan qu'on aurait pu lui prédire à l'époque, est un contrepoids idéal à l'austérité de son partenaire, se montrant prodigieusement agaçant sans être jamais détestable. Elizabeth Berridge, dans une performance sous-évaluée, campe une Constance Mozart qui peut paraître tête de linotte au premier abord avant de devoir tenir son ménage à bout de bras, obligée d'être la seule adulte du couple. Jeffrey Jones s'illustre aussi en Joseph II lunaire mais bienveillant tandis que l'on repère une très jeune Cynthia Nixon dans le rôle d'une servante/espionne.

Quarante ans après sa sortie, Amadeus n'a pas pris une ride et nous embarque sans peine dans les tourments tragiques d'un homme suffisamment doué pour reconnaître le génie chez un autre mais pas assez pour l'effleurer lui-même, déterminé à atteindre une immortalité qu'il obtiendra de manière détournée et ironique.
potion préparée par Zakath Nath, le Vendredi 10 Mai 2024, 19:03bouillonnant dans le chaudron "Films".