Où suis-je?

Bienvenue sur ce blog consacré à un peu tout et n'importe quoi, mais où il sera principalement question de: Harry Potter et la fantasy en général, de romans d'aventures maritimes, de littérature, de séries télés (majoritairement des productions britanniques, mais pas que) et de cinéma!


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Fenêtre sur cour
Photographe audacieux, L.B. "Jeff" Jeffries se retrouve avec une jambe dans le plâtre. Il passe ses journées à la fenêtre et pour tromper son ennui observe avec amusement ses voisins. Une nuit, il remarque les allées et venues tardives de l'un d'eux, Lars Thorwald, et le soupçonne d'avoir tué sa femme. Comment en être sûr et le prouver sans pouvoir bouger de chez lui?

James Stewart a hérité de ses collaborations avec Frank Capra d'une image de brave américain intègre, doté d'une grande carcasse qui lui donnait l'air plus pataud qu'intimidant. Une image que n'a pas totalement brisé Alfred Hitchcock quand les deux hommes se sont associés pour quatre films mais que le réalisateur s'est tout de même ingénié à maltraiter, rendant ses personnages plus ambivalents que leur statut de protagoniste pourrait laisser penser au premier abord: celui de La Corde se complait trop longtemps dans ses provocations et son influence sur ses étudiants pour réaliser que deux d'entre eux étaient capables d'appliquer des principes qu'il a simplement jetés en l'air, celui de Sueurs Froides est obsédé par la femme qu'il est chargé de suivre et le héros le plus classique, celui de L'Homme qui en savait trop, prend vite les choses en main mais fait plus souvent fausse route que l'épouse qu'il croit plus fragile qu'elle n'est. Jeff, le personnage principal de Fenêtre sur cour, n'est pas en reste. Bien que l'on comprenne son ennui après plusieurs semaines cloué dans son fauteuil, il n'en reste pas moins un voyeur qui semble plus poussé, lorsqu'il cherche à démasquer son voisin, par l'envie de prouver qu'il a raison que par l'envie de faire régner la justice. Il fuit tout engagement avec sa fiancée sous prétexte qu'elle est trop sophistiquée pour supporter les aléas de son métier de reporter sans se rendre compte qu'elle est davantage qu'une potiche.

Hitchcock place ce personnage dans un film qui s'il n'est pas aussi ouvertement expérimental que La Corde et son plan-séquence adopte un parti-pris paradoxal: c'est un huis-clos, le héros ne quittant jamais son appartement et sa place près de sa fenêtre, mais un huis-clos ouvert sur l'extérieur qui lui donne vue sur plusieurs intérieurs où se nouent des scènes tragi-comiques. Tel un spectateur, Jeff ne peut voir que ce qui est dans le champs mais peut par sa logique percevoir la vérité au-delà avec les éléments dont il dispose. Tel un réalisateur, il ne se contente pas d'observer ce qu'on lui met sous le nez mais use de différents objectifs pour atteindre des niveaux supplémentaires de compréhension et surtout n'est pas passif et influence l'action, sans bouger de son fauteuil mais avec l'aide de son infirmière Stella et de sa fiancée Lisa, actrices volontaires de son enquête. La réflexion sur le voyeurisme ne concerne donc pas que le personnage de Jeff mais se double d'un jeu sur la notion de cinéma, ceux qui le font et le regardent.

Le décor de la cour, réalisé en studio, est impressionnant, offrant plein de vignettes pittoresques qui se mêlent, les petites intrigues rendent à la fois vivantes l'environnement de Jeff mais peuvent contribuer au suspense: la tentative de suicide d'une femme malheureuse pourrait-elle ainsi distraire les héros à un moment capital? On sourit au couple de petits vieux qui dort sur le balcon à cause de la chaleur mais eux aussi sont brièvement frappés par un drame, les plans du voisin tueur affectant le bloc d'immeubles plus qu'on ne le soupçonnerait au premier regard. Quant aux jeunes mariés resplendissants de bonheur qui emménagent en début de film, leur futur ne risque-t-il pas de ressembler à celui des Thorwald alors que l'homme semble de plus en plus agacé et fuyant? Le film possède le sens du suspense qui a fait la renommée de son réalisateur mais également des touches d'humour noir, principalement au travers des répliques de Stella, infirmière de Jeff qui lui reproche son indiscrétion mais se passionne vite pour son enquête.

James Stewart campe parfaitement son personnage casse-cou forcé d'être statique, prêt à foncer vers des destinations dangereuses mais qui piétine lorsqu'il s'agit de s'engager, sous-estimant sa fiancée, comme la suite le lui prouvera. Cette dernière est jouée par Grace Kelly qui en était également à son deuxième film avec Hitchcock après Le Crime était presque parfait. Elle hérite du personnage le plus intéressant, une mannequin raffinée dont Jeff estime qu'elle sera bien incapable d'affronter les rigueurs dont lui raffole en tant que reporter mais qui va montrer qu'elle est prête pour lui à se jeter dans la gueule du loup. Le dernier plan lui appartient à elle et non à Jeff d'ailleurs, où on la voit lire un livre d'explorateur pour lui préférer un magazine de mode: oui, elle est prête à accompagner son futur mari dans ses expéditions mais sans se renier pour autant. Edith Head, la costumière, la dote de tenues particulièrement élégantes et elle est magnifique. Thelma Ritter est amusante en infirmière aux avis tranchés et l'on reconnaîtra Raymond Burr, futur Perry Mason, dans le rôle du voisin assassin.

Fenêtre sur cour, en tant qu'exercice de style, n'est peut-être pas aussi spectaculaire que La Corde mais témoigne d'une maîtrise parfaite du décor limité à une cour d'immeuble et s'avère un des films les plus réjouissants de son auteur.
potion préparée par Zakath Nath, le Jeudi 14 Mars 2024, 17:19bouillonnant dans le chaudron "Films".