Une météorite s'écrase dans le champ voisin de la ferme de Nahum Gardner qui y vit avec sa femme et ses trois fils. Les scientifiques d'Arkham envoyés sur place sont perplexes devant ce matériau inconnu qui rétrécit régulièrement et le globule d'une couleur indéfinissable qu'il renferme. Petit à petit, la ferme de Nahum et son voisinage subissent des évolutions de plus en plus inquiétantes.

On a tous eu des lectures qui ont fait plus que nous plaire mais ont été des claques laissant une impression profonde même des années après. La Couleur tombée du ciel, première nouvelle de Lovecraft que j'ai lue lorsque j'étais en quatrième parce qu'elle était prescrite dans le cadre d'un cours sur le fantastique, en fait partie. Au point où je me souviens même de ce que j'écoutais en boucle à l'époque, une cassette du Very Best Of d'East 17 dont les chansons se sont toujours à la suite de cela dotées d'une aura un peu inquiétante alors que bon... East 17 (quelqu'un se souvient d'East 17 dans la salle? Je m'égare et je ne sais pas si on pouvait s'imaginer qu'il en serait question dans un article sur une œuvre de Lovecraft).

Cela a été ma découverte de l'auteur et si j'ai apprécié les autres nouvelles du recueil et d'autres lues depuis (et certaines beaucoup moins...) c'est à ce récit que je repense toujours quand il est question de Lovecraft et cela reste celui qui m'aura mise le plus mal à l'aise, probablement parce qu'il fait peur sans sortir de tentacules ou de Grands Anciens mais par une dégradation progressive mais implacable des êtres vivants. Des effets que des radiations bien terrestres pourraient produire mais comme si ce n'est pas suffisamment dérangeant, la Couleur semble vivante elle-même et malfaisante, totalement inexplicable et étrangère à nous au dernier degré.

Voilà donc le récit que Gou Tanabe, mangaka qui s'est lancé dans l'adaptation des nouvelles les plus fameuses de Lovecraft, illustre avec évidemment le défi principal: comment rendre palpable une couleur aussi indéfinissable que celle décrite par l'auteur et surtout en noir et blanc? De ce point de vue, le résultat ne peut être que décevant même si Gou Tanabe ne se contente pas d'un point blanc au milieu de la pénombre des champs et de la ferme de Nahum, il rend bien des formes suggestives mais difficilement identifiables qui laissent comprendre qu'il ne s'agit pas d'une lumière naturelle et connue de l'homme. Je n'ai pas vu l'adaptation récente avec Nicolas Cage mais les images laissent voir quelque chose de très violet, Annihilation d'Alex Garland s'aventurait un peu sur les mêmes terres sans que ce soit ça non plus. Bref, on touche avec cette histoire de Couleur aux limites de ce que l'on peut représenter graphiquement.

Par ailleurs Gou Tanabe se montre d'une fidélité exemplaire à la nouvelle, synthétisant des dialogues parfois lourds et illustrant à merveille la mutation qui s'opère, d'abord avec une végétation de plus en plus luxuriante mais inexploitable, ensuite par des animaux difformes et enfin par le sort terrible de la famille Gardner dévorée de l'intérieur. La montée en puissance dans l'horreur, de simples premiers effets alarmants aux ravages des dernières pages en ouvrant sur une fin bien paranoïaque (quoi qu'un peu moins que dans la nouvelle si mes souvenirs sont bons), tout est mené de main de maître.

Malgré un écueil principal de taille et pas tout à fait surmonté, La Couleur tombée du ciel version Gou Tanabe est une adaptation de qualité, recommandable à la fois pour les fans de l'univers de Lovecraft et pour les amateurs de manga qui souhaitent le découvrir par ce biais.