L'hôpital psychiatrique de L'Orme, situé sur un plateau venteux de la campagne berrichonne, est déjà d'ordinaire un endroit sinistre. Les morts violentes et inexplicables qui s'y produisent ne sont pas pour alléger l'ambiance. Lucie Klein, élève de Lacan venue étudier un cas de prosopagnosie, va essayer de découvrir qui se cache derrière les meurtres mais chaque révélation est plus terrifiante que la précédente.

Comme la plupart des gens j'imagine, j'ai fait la connaissance de Slimane-Baptiste Berhoun en tant qu'acteur, alors qu'il tenait le rôle du Dr Henry Castafolte dans Le Visiteur du Futur. Il se trouve qu'il est également romancier et après avoir écrit une suite de la série, La Meute, il s'est lancé dans une histoire originale, Les Yeux. Un hôpital psychiatrique isolé dans les années 50, alors que les blessures de la Seconde Guerre Mondiale sont encore profondes et que le bien-être des patients passe après les soucis de renommée scientifique ou d'économie des moyens, voilà déjà qui suffit à poser un lieu propice aux frissons. C'est un peu trop évident d'ailleurs car on se retrouve vite avec des personnages archétypaux: le scientifique glacial qui ne s'embarrasse pas d'éthique, le directeur qui ne pense qu'aux apparences, les gardiens brutaux, le gentil maigrichon amoureux de la fille, le gamin bizarre, l'étudiante fureteuse et douée qui cache un douloureux secret... Et en face, une créature jouant sur les peurs de personnages déjà mentalement fragilisés.

Heureusement, Berhoun ménage suffisamment de surprises et de retournements de situation pour que les poncifs s'atténuent et que l'on se laisse emporter. On veut comprendre. Ce que cherche exactement Lucie, ce que fabrique Valmont et qui se cache derrière les Yeux que craignent tant les patients. Évidemment, comme il y a vite un suspect évident, on devine qu'il faudra chercher ailleurs mais l'auteur est tellement généreux en rebondissements qu'il est impossible de tout voir venir. Jusqu'à un certain point hélas car à force de les multiplier, on finit par se perdre un peu et en même temps les seules possibilités qu'il reste pour faire redémarrer l'intrigue pour d'ultimes explications et un dernier affrontement pour la route rendent les derniers chapitres prévisibles. On a même une scène "post-générique" qui nous fait le coup du Mal éternel qui perdure sous une autre forme pour faire de nouvelles victimes.

Parfois glaçant, parfois trop grand-guignolesque pour adhérer complètement (bien qu'il y ait aussi un humour parfaitement volontaire qui affleure ici et là), Les Yeux n'est pas complètement abouti. Le contexte et le monstre sont suffisamment violents et effrayants pour qu'on y trouve son compte d'horreur mais l'outrance dans le côté très typé des personnages puis dans les péripéties à rallonge finissent par rendre l'ensemble trop pesant.