Où suis-je?

Bienvenue sur ce blog consacré à un peu tout et n'importe quoi, mais où il sera principalement question de: Harry Potter et la fantasy en général, de romans d'aventures maritimes, de littérature, de séries télés (majoritairement des productions britanniques, mais pas que) et de cinéma!


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The Irregulars, saison 1
Bea, Jessie, Billy et Spike sont des orphelins survivant dans les bas-fond de Londres. Contre quelques pièces, un certain John Watson leur demande d'enquêter sur des événements étranges qui frappent la ville depuis quelques temps.

Dans le canon holmesien, les Irréguliers de Baker Street (ou Franc-Tireurs de Baker Street dans certaines traductions) sont des gamins des rues employés occasionnellement par Sherlock Holmes pour l'assister dans ses enquêtes, et qui ont un certain Wiggins à leur tête. Ils ont inspiré des romans, des bandes dessinées et quelques séries télés. La dernière en date est en ligne sur Netflix depuis la semaine dernière. Exit Wiggins, les Irréguliers sont davantage des ados, pour ne pas dire de jeunes adultes, que des enfants et leurs aventures plongent d'emblée dans le surnaturel. En fait, on s'aperçoit assez rapidement que le rapport aux personnages de Conan Doyle n'est qu'un mince prétexte pour vendre la série et attirer le chaland car on ne retrouve à peu près rien de l’œuvre de base. Certes, le 221B Baker Street, Holmes, Watson, Mycroft, les inspecteurs Lestrade et Gregson ou encore Mrs Hudson sont présents. Néanmoins, ils pourraient s'appeler tout à fait autrement sans que cela change quoi que ce soit à l'intrigue. Même dans la version de Guy Ritchie qui fut pourtant très contestée avant même sa sortie, il restait suffisamment d'éléments de base pour y reconnaître ses petits même si on pouvait être critique sur la réinterprétation. On ne peut pas en dire autant ici, bien que Henry Lloyd-Hughes soit un acteur que j'apprécie par ailleurs, impossible de voir en lui Sherlock ici, Mycroft est bête à manger du foin, Watson est désagréable (mais il est torturé par un amour impossible le pauvre bichon) et autant le dire, si on veut assister à de jolies déductions, minimum syndical quand on touche au détective, on l'a dans l'os.

Cependant, le lien plus que ténu avec la création de Conan Doyle serait facilement excusable si par ailleurs les huit épisodes proposés étaient de qualité. Or, il y a beaucoup trop de défauts pour cela. Malgré quelques fulgurances gores, la série semble s'adresser à des spectateurs adolescents. Pourquoi pas. Souvent, elle a l'air d'avoir été écrite par un adolescent (en fait Tom Bidwell, pourtant créateur de la série remarquée Journal d'une ado hors-norme), ce qui est nettement plus gênant. Les jeunes héros sont tous beaux et lisses chacun dans leur genre avec des caractères très définis dès le départ dont ils ne vont pas varier (l'héroïne volontaire qui sert de grande sœur/mère à toute la bande, la sensible bizarre, le rigolo, le petit dur, le petit prince fragile - on reviendra sur lui d'ailleurs). Leur façon de parler, leur mentalité sont celles d'adolescents actuels, avec évidemment du triangle amoureux et le plus enquiquinant c'est que Holmes, Watson et Alice (la mère de Jessie et Bea) ne se comportent pas avec davantage de maturité. Visuellement, c'est cossu mais les vues de Londres ont l'air de sortir du même logiciel que toutes les séries en costumes victoriens de ces dernières années, et les bas-quartiers sont tout de même très propres. La bande-son est bardé de titres pop-rock-rap histoire de bien comprendre qu'on n'est pas dans une série en costume à la papa (ce qui n'a rien de novateur et Armando Iannucci a montré récemment avec son David Copperfield qu'on pouvait être frais et dynamique dans le registre sans avoir recours à cet artifice), le bal à la cour et la princesse Louise donnent l'impression de sortir de séries américaines type Gossip Girl. Tout cela va probablement être très ringard dans quelques années et on a l'impression qu'on ne peut adresser une série dans un cadre historique aux adolescents qu'en ne s'éloignant surtout pas de ce qu'ils connaissent ou de ce que l'on s'imagine qu'ils connaissent, que le passé n'est acceptable que s'il ressemble au présent (et oui, je suis bien consciente que c'est une fiction, pas un documentaire, et n'étant pas moi-même historienne bien des anachronismes me passent au-dessus de la tête dans d'autres fictions en surface plus sérieuses. Mais là, je trouve que ce parti-pris est assez ridicule et déjà lassant).

On va parler un peu de Leo, le "petit prince fragile" évoqué plus haut. Il s'agit de Leopold, fils de la reine Victoria et duc d'Albany, qui a vraiment existé et est surtout resté dans les mémoires pour avoir été hémophile. Ici, cloîtré par sa famille à Buckingham de peur qu'il se fasse bobo et sous la garde d'un écuyer/valet/secrétaire nommé Daimler (ce cher Edward Hogg), il est fortement impressionné par un vibrant discours de Bea aperçue lors d'une promenade en carrosse, s'échappe de sa cage dorée pour rejoindre la jeune fille et sa bande et va les aider dans leurs aventures. Faire vivre des aventures ébouriffantes à un personnage historique n'est pas une idée nouvelle et ça peut être plutôt amusant mais ici on n'y croit pas une seule seconde: il y a par exemple une scène où Leopold se laisse tomber d'un balcon du palais, le temps que Daimler et la domesticité lui viennent en aide il a apparemment eu le temps de se traîner jusqu'à chez Bea à des pâtés de maison d'ici. D'ailleurs un godelureau pareil se serait probablement fait couper la gorge dès le premier pas dans le quartier, mais tout va bien, il s'acclimate sans problème aux conditions de vie, à la bouffe, la pauvreté ripolinée c'est chouette tant que ça permet de se faire des amis! Et ces escapades passent inaperçues au palais, il n'y a qu'un épisode où Daimler intrigue pour l'y ramener et on est censé croire que ce personnage est antipathique parce qu'il fait juste son fichu job à savoir s'occuper d'un petit prince inconscient (oui, il est antipathique, c'est un gros snob mais il est franchement inoffensif et en temps que serviteur de la Couronne qui empêche de respirer les membres rebelles de la famille royale, il n'arrive pas à 1 sur une échelle dont Tommy Lascelles serait la cime). De plus, si on ne doit pas résumer un personnage à un handicap ou une maladie, l'hémophilie de Leopold n'apporte rien à l'intrigue à part expliquer qu'il soit couvé: on ne le sent jamais plus en danger que les autres, et on se serait inquiété pour rien de toute manière. Voilà.

Pendant la première moitié de la saison on s'oriente vers un format du type "monstre de la semaine" (bien que l'expression n'ait plus grand sens à l'heure du binge-watching) avec un mystère sur l'origine des éléments surnaturels et autour de Watson et Holmes. C'est finalement la partie la plus sympathique, avec des menaces pas plus mal que d'autres (la relecture de la fée des dents au hasard) et une envie d'en savoir plus sur ce qui est arrivé à Sherlock. Hélas, dès que l'on commence à obtenir des réponses, elles sont franchement décevantes, en partie à cause du comportement des "adultes", en partie également à cause des motivations accordées à Watson (le scénario devient doublement douteux quand on nous révèle comment le grand méchant a découvert ses pouvoirs). Ces révélations donnent d'ailleurs le sentiment fâcheux que derrière une volonté de modernité (bande-son dont j'ai déjà parlé, casting misant sur la diversité - à ce sujet d'ailleurs les acteurs ne sont ni pire ni meilleurs que d'autres mais il n'y a pas vraiment de grands gagnants. Et il faut passer outre le fait que Lloyd-Hughes est censé jouer Sherlock Holmes), on réutilise de vieilles ficelles, et pas des plus progressistes. Les grands discours des héros sur leur valeur même s'ils sont tout en bas de l'échelle sociale sonnent aussi creux tellement tout est dépolitisé par ailleurs.

C'est peut-être trop exiger d'une série qui ne vise probablement qu'à être un aimable divertissement pour les adolescents. Malheureusement, ce n'est pas un divertissement très enlevé, dont émerge quoi que ce soit de remarquable. Il n'est pas totalement sans mérite toutefois: si les choix artistiques seront à mon avis vite datés, ils rendront la série assez représentative d'une certaine époque, d'un certain type de production Netflix qu'il sera peut-être intéressant d'analyser non pas pour ses qualités propres mais pour ce que cela voulait dire de la production sérielle de la fin des années 2010 et du début des années 2020.
potion préparée par Zakath Nath, le Jeudi 1 Avril 2021, 21:16bouillonnant dans le chaudron "Séries tv".