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Bienvenue sur ce blog consacré à un peu tout et n'importe quoi, mais où il sera principalement question de: Harry Potter et la fantasy en général, de romans d'aventures maritimes, de littérature, de séries télés (majoritairement des productions britanniques, mais pas que) et de cinéma!


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M le Maudit
À l'aube des années 30, une ville allemande est frappée par plusieurs meurtres de fillettes. La police, sommée de donner des résultats, multiplie les descentes dans les bas-fonds. La pègre, lassée d'être dérangée dans l'exercice de son gagne-pain, décide de s'organiser pour coincer elle-même l'assassin.

M le Maudit, premier film parlant de Fritz Lang, n'est pas le film de serial-killer originel (on peut compter avant The Lodger d'un tout jeune Alfred Hitchcock qui s'inspirait de Jack l'Éventreur, par exemple) mais il en est un des sommets et il se distingue sur bien des points, le moindre n'étant pas la figure de son tueur, bien qu'il serait extrêmement réducteur de le résumer à cela.

Commençons tout de même par le tueur, car il faut bien démarrer quelque part. Hans Beckert, marqué d'un M qui veut dire meurtrier, n'est pas un génie du crime, une figure du Mal aussi charismatique que suave comme quelques-uns de ses successeurs qui vont marquer l'écran dans les décennies qui vont suivre. Au contraire, ce qui distingue Beckert, c'est sa médiocrité apparente, presque repoussante et en même temps un côté inoffensif, un visage aussi enfantin que ses victimes. Lang ne pouvait trouver meilleur interprète que Peter Lorre, déjà remarqué au théâtre mais qui n'avait fait que deux petites apparitions non-créditées au cinéma (au point de considérer M comme son tout premier film). Le personnage n'est dévoilé que par petites touches au départ (une ombre, une voix, un sifflotement, un dos) avant d'être révélé devant son miroir, et ce n'est qu'à la toute fin qu'il prendra vraiment la parole, essayant vainement de se défendre devant un tribunal improvisé en plaidant l'irresponsabilité. Lorre parvient à merveille à montrer les facettes de son personnage, le petit homme ordinaire se transformant en prédateur, le meurtrier traqué et enfin le malade terrorisé qui tente de convaincre un auditoire hostile de le livrer à une vraie justice. On ne nous laisse jamais oublier la nature des crimes qu'il a commis, pas plus qu'on ne cherche vraiment à susciter la sympathie à son égard mais les dernières minutes soulèvent des questions vis-à-vis du traitement à appliquer à quelqu'un dans son cas qui avaient été jusque-là laissé de côté, tout concentré que le film était à montrer la traque parallèle menée par la police et la pègre. C'est d'ailleurs un des autres points mémorables du film.

En effet, le tueur est un catalyseur qui va révéler un peu toutes les strates de la société: il y a la mère d'Elsie Beckmann, la victime de Beckert, qui travaille toute la journée dans un quartier populaire pour gagner sa croûte et ne peut aller chercher sa fille à l'école. Des bons bourgeois dans leur club qui s'accusent mutuellement d'être le coupable. Et bien sûr, les portraits opposés de la pègre et de la police. La première est présentée de manière haute-en-couleur, avec ses syndicats, ses différentes corporations, et elle a presque un rôle sympathique... À l'exception de son chef, Schränker, incarné par Gustaf Gründgens: sanglé dans un imperméable noir, ganté et glacial, il est le plus virulent quand il s'agit d'exterminer le tueur car son existence perturbe les affaires (les autres truands, et surtout les prostituées, sont plus sincèrement horrifiés par les actes de Beckert). Le bougre est charismatique mais aussi hypocrite car on souligne que lui-même a tué au moins trois personnes. Et contrairement à Beckert, il était parfaitement conscient de ses actes. Il faut noter qu'à sa sortie en salle, le film a enthousiasmé Goebbels, qui y voyait un discours entièrement pro-peine de mort sans ambiguïté; il a plus tard interdit le film et détourné une scène à des fins de propagande antisémite donc il s'est peut-être aperçu entretemps que le métrage ne disait pas exactement ce qu'il avait envie d'entendre mais on a l'impression qu'il a vraiment dû se projeter dans le personnage de Schränker. Il voyait aussi dans le film et il n'est pour le coup pas le seul, une charge contre l'inefficacité de la République de Weimar, mais là encore le film apparait plus complexe.

En effet, le banditisme est très présent, on souligne la facilité apparente avec laquelle des gens dangereux plaidant la folie se retrouvent vite en liberté, et la police patine longtemps mais celle-ci est loin d'être totalement inefficace. Le commissaire Lohmann (Otto Wernicke) est filmé de manière peu flatteuse, avec des angles lui donnant un aspect grotesque, mais ses méthodes fonctionnent et si la pègre met la main en premier sur le tueur (empêchant un nouveau meurtre), Lohmann venait tout juste d'identifier ce dernier. Finalement, on pointe surtout du doigt les dénonciations et les témoignages peu fiables qui ralentissent l'enquête et les effets de meute, prompte à lyncher la brebis galeuse. Lang accorde un luxe de détails aux procédures utilisées dans la recherche du meurtrier qui donne une tonalité très Les Experts: République de Weimar par moment.

Bien qu'étant presque nonagénaire, le film a merveilleusement vieilli. Les plages de silence (voulues par Lang) peuvent évidemment surprendre quand on est habitué à des bruitages quasi-permanents et réalistes au moins en apparence, mais l'utilisation du son est du coup d'autant plus marquante, surtout que c'est celui-ci qui permet au tueur d'être démasqué... par un aveugle. Il y a également des scènes remarquables comme le montage parallèle entre la réunion des sommités policières et des gros bonnets de la pègre établissant chacun sa stratégie pour coincer l'assassin. On peut à peine reprocher un rythme qui patine un peu entre le moment où Beckert est attrapé et la scène du tribunal improvisé.

J'avais vu M pour la première fois à la fin des années 90, ou au début des années 2000, lors d'un passage à la télévision, dans une version tronquée (il manquait notamment la scène célèbre où Beckert grimace devant son miroir), avec des effets sonores ajoutés, et même dans cet état imparfait j'avais été marquée par le film, surtout sa fin. Le découvrir dans sa version restaurée, la plus proche de ce qu'envisageait Fritz Lang, n'a fait que rappeler la force et la richesse du long-métrage et si chef-d’œuvre est un terme galvaudé, dans le cas présent il n'est pas usurpé.
potion préparée par Zakath Nath, le Samedi 28 Mars 2020, 23:27bouillonnant dans le chaudron "Films".