Où suis-je?

Bienvenue sur ce blog consacré à un peu tout et n'importe quoi, mais où il sera principalement question de: Harry Potter et la fantasy en général, de romans d'aventures maritimes, de littérature, de séries télés (majoritairement des productions britanniques, mais pas que) et de cinéma!


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Kurt Gerron a connu la gloire sur scène et à l'écran dans l'Allemagne de la République de Weimar, mais en 1944, il n'est qu'un Juif parmi d'autres déportés à Theresienstadt. Karl Rahm, le commandant du camp, le somme alors de réaliser un film de propagande présentant le lieu comme une petite ville idyllique, et laisse trois jours à Gerron pour se décider entre obtempérer ou partir pour Auschwitz.

Il est probable que le nom de Kurt Gerron n'évoque plus grand chose aujourd'hui, à moins de faire partie cinéphiles qui l'auront remarqué dans L'Ange Bleu aux côtés de Marlène Dietrich, ou de s'être suffisamment intéressé à l'Holocauste pour connaître déjà son histoire, que Charles Lewinsky nous conte ici sous forme romancée. Alors que Gerron est mis en face d'un choix qui n'en est pas vraiment un (se rendre complice d'une mystification faisant passer les crimes des nazis pour un bienfait ou sa mort et celle de son épouse), il se remémore son enfance bourgeoise à Berlin, la Première Guerre Mondiale, ses études de médecine abandonnées au profit d'une florissante carrière d'artiste menacée par l'arrivée d'Hitler au pouvoir.

On côtoie en sa compagnie Bertolt Brecht (dont Gerron peint un portrait peu flatteur), Marlène Dietrich, Emil Jannings, Peter Lorre et d'autres artistes de l'époque mais Gerron reste la figure centrale, une figure étrange et complexe, qui ne cesse de se mettre en scène ainsi que le monde qui l'entoure (ce qui donne lieu à un procédé un peu répétitif mais qui s'estompe au fur et à mesure où le narrateur décrit quelque chose avant de confesser que cela s'est passé autrement, de manière beaucoup moins satisfaisante pour lui). Lewinsky ne tente pas de juger le personnage, laissant le lecteur tirer ses conclusions devant cet homme qui laisse passer par vanité l'occasion de partir à Hollywood parce qu'on ne lui offre que des billets en troisième classe et qui cherche jusqu'au bout à rationaliser ce qu'il fait: en acceptant de tourner le film, n'offre-t-il pas un sursis à tous les gens qu'il met sur une liste pour y jouer, puisque tant qu'on en a besoin, on ne peut pas les envoyer à Auschwitz, et que les Alliés ne cessent d'avancer? Ou finalement, n'accepte-t-il pas tout simplement pour ne pas cesser d'être le réalisateur Kurt Gerron, même quand il se rend compte qu'il n'y a pas de véritable échappatoire?

Retour indésirable semble par moment être le revers de La Vie est belle de Roberto Benigni: là où dans ce film, le mensonge du père pour travestir la réalité visait à protéger son fils, celui de Gerron ne sert que la volonté de Rahm, malgré ses efforts pour se convaincre qu'il n'en est rien.

Écrire sur les camps n'est pas chose aisée mais en s'attachant au destin tragique de Kurt Gerron, Charles Lewinsky se montre à la hauteur de son sujet et livre un roman dont on a du mal à se détacher une fois celui-ci terminé.
potion préparée par Zakath Nath, le Mercredi 4 Mars 2020, 20:50bouillonnant dans le chaudron "Littérature".