Où suis-je?

Bienvenue sur ce blog consacré à un peu tout et n'importe quoi, mais où il sera principalement question de: Harry Potter et la fantasy en général, de romans d'aventures maritimes, de littérature, de séries télés (majoritairement des productions britanniques, mais pas que) et de cinéma!


mon compte twitter mon tumblr mon compte bétaséries



Les aventuriers de l'article perdu

Archive : tous les articles

Principaux grimoires

Inventaire des ingrédients

Ce qui mijote encore

Potion précédente-Potion suivante
Ran
Au Japon à la fin du XVIe siècle, le vieux chef du clan Ichimonji, Hidetora, décide de céder le pouvoir à ses trois fils, Taro, Jiro et Saburo. Ce dernier est le seul à contester son plan, ce qui lui vaut l'exil. Bientôt la situation se détériore alors que Hidetora devient indésirable chez ses deux fils aînés qui ne tardent pas à se lancer dans une guerre meurtrière.

En 1985, Akira Kurosawa réalise un projet qui lui tenait à cœur depuis des années, dont il avait peint les storyboards pendant dix ans et qui, avec un budget d'une douzaine de millions de dollars, était alors le long-métrage le plus cher produit du pays: Ran, une transposition du Roi Lear dans le Japon féodal. Les filles de Lear sont, entre autres modifications, remplacés par des fils mais on y retrouve l'essentiel: le vieux monarque qui prend la franchise du cadet pour un manque de respect et le rejette tandis que les aînés flatteurs se révèleront ingrats et belliqueux, le plongeant dans l'errance et la folie en compagnie d'un bouffon. La lucidité lui reviendra mais trop tard pour empêcher une fin tragique. Kurosawa va cependant un peu plus loin: là où Lear est au pire naïf, Hidetora est un seigneur de guerre qui a assis son pouvoir dans le sang: ses deux belles-filles, respectivement mariées à Taro et Jiro, ont vu leur famille tuée sous leurs yeux et leurs forteresses conquises. Alors que Sue, l'épouse de Jiro, cherche la paix dans la religion et le pardon, celle de Taro, Kaede, va profiter de la situation pour détruire de l'intérieur le clan Ichimonji et si son jusqu'au-boutisme entraine la mort d'innocents, il est difficile de complètement lui en vouloir.

Comme dans toute bonne tragédie, son machiavélisme est bien aidé par les décisions des autres personnages prompts à envenimer la situation même quand elle ne les y encourage pas. Trahisons et déloyautés abondent tandis que les quelques personnages purs sont isolés et souvent inefficaces: Saburo, sarcastique et insolent mais prévenant et intègre malgré ses provocations est absent pendant une bonne partie du film et n'intervient que trop tardivement pour sauver ce qui peut l'être, y compris lui-même. La condition de bouffon de Kyoami lui permet de dire tout haut ce que des courtisans tairaient sans crainte de punition mais sans pouvoir prendre des décisions lui-même. Lady Sue fuit tout conflit dans la religion tandis que son frère Tsurumaru, aveuglé dans son jeune âge par Hidetora, est également impuissant à changer le cour des choses et dépend du bon vouloir d'un entourage voué à disparaitre.

Cette histoire dans laquelle le sang appelle le sang est dépeinte par un Kurosawa au sommet de sa maîtrise. C'est simple, Ran fait partie de ces films qui, a n'importe quel moment où l'on fait une pause, offrent un plan que l'on a envie d'encadrer. Pour autant il ne s'agit pas non plus d'un beau livre d'images et les scènes s'enchaînent pendant 2h40 avec la plus grande fluidité, nous amenant d'un morceau de bravoure à un autre. Mention spéciale tout de même pour la sortie de Hidetora de la forteresse en flamme sous les yeux des armées de Jiro, commençant sa longue errance alors que la raison l'a déserté face à une trahison de plus et la prise de conscience que le plus jeune fils qu'il croyait ingrat était en fait le plus valeureux du lot. La fureur des batailles tranche avec les vingt premières minutes bucoliques durant laquelle le chef de clan, ses fils et deux seigneurs voisins pique-niquent dans une verte et paisible campagne (non sans avoir trucidé des sangliers ou la version locale de ces bestioles juste avant).

Hidetora n'est pas un personnage aimable, il récolte ce qu'il a semé tout au long de sa vie. Tatsuya Nakadai en donne une interprétation très théâtrale, conscient sans doute des origines du personnage, tout en gros yeux et en gros sourcils mais il lui injecte une présence indéniable tandis qu'à ses côté, Pîtâ dans le rôle de son fou apporte une once de légèreté mais contribue aussi au pathétique ambiant alors que la situation de plus en plus catastrophique l'incite plus à condamner les dieux qu'à chercher à trouver de l'humour dans les moments désespérés. Daisûke Ryu ne manque pas de prestance en Saburo mais n'est pas suffisamment longtemps à l'écran. C'est surtout Mieko Harada qui fait forte impression dans le rôle de Kaede, tirant ses ficelles pour détruire sa belle-famille imposée quitte à tout emporter dans sa vengeance. Parmi les personnages secondaires, Isashi Igawa est aussi marquant en bras droit de Jiro, loyal tout en essayant de limiter les excès sanglants et les conséquences des erreurs de son maître.

Au moment de la conception de Ran, Kurosawa était déjà un réalisateur qui avait démontré plus d'une fois qu'il était un grand. Il avait influencé dès les années 60 les westerns américain et italien tandis que des réalisateurs comme Francis Ford Coppola, Georges Lucas et Martin Scorsese ne cachaient pas leur admiration au point de vouloir l'assister et travailler avec lui. Ce film est une parfaite démonstration des raisons de l'enthousiasme que peut susciter son œuvre, indispensable pour qui aime le cinéma, Shakespeare ou les deux.
potion préparée par Zakath Nath, le Samedi 8 Juin 2024, 16:20bouillonnant dans le chaudron "Films".