Encore marqué par la mort de sa mère, le jeune Gaspar est entraîné par son père Juan dans une fuite à travers l'Argentine. Juan craint que les pouvoirs de médium de son fils n'attirent l'attention d'un culte terrifiant. Les années passent et Gaspar découvre difficilement son héritage encombrant.

Premier roman remarqué de Mariana Enriquez, Notre part de nuit nous plonge dans l'Argentine du dernier quart du XXe siècle à la suite de Gaspar, un jeune garçon capable, entre autres, de voir des gens morts. Un pouvoir que son père également médium, tente de dissimuler car il ne sait que trop bien la convoitise qu'il suscite auprès d'un culte dédié à l'Obscurité. Ce point de départ peut sembler classique, on peut par exemple penser à Charlie de Stephen King pour le duo parent/enfant doté de pouvoirs surnaturels traqué par une puissante organisation. Le traitement est tout sauf classique.

Jonglant entre les points de vue et les périodes temporelles, effectuant des allés et retours d'une partie à l'autre, Enriquez nous dévoile l'histoire de Gaspar et de sa famille sous forme de puzzle qui prend forme dans ses dernières pages. En y allant franchement dans l'horreur quand il s'agit de décrire les rites et les crimes du culte auquel appartient la famille du personnage principal. Le contexte historique prend alors tout son sens car les privilèges de cette famille de riches propriétaires couplés aux exactions de la dictature se confondent, l'une permettant à l'autre de cacher ses sacrifices au milieu d'autres massacres. L'autrice provoque le frisson et le dégoût sans user de formules toutes faites et les personnages qu'elle met en scène sont complexes: les parents de Gaspar ont beau vouloir rompre avec le culte et protéger leur fils, ils commettent des actes particulièrement violents et semblent parfois indifférents à d'autres. Gaspar, tout en étant gardé dans l'ignorance de son pouvoir et de son histoire familiale, peut être aussi inquiétant. Pour contrebalancer, les amis qu'il se fait sont attachants mais vont être également marqués par son contact.

Foisonnant et inconfortable, Notre part de nuit s'inscrirait naturellement dans le courant du réalisme magique que l'Amérique latine a si bien cultivé tout en versant plus ouvertement dans l'horreur. Quelle que soit la catégorie dans laquelle on le fait entrer, il s'agit en tout cas d'un roman aussi singulier que fascinant.